L'insolite de l'art chrétien : églises de Champagne-Ardenne

L'insolite de l'art chrétien : églises de Champagne-Ardenne

Le pavement de l'ancienne abbaye Saint-Nicaise de Reims

Pavés snobés 

 

 

 

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 Moïse divise la Mer Rouge

Exode (14 ; 21) "...Moïse étendit la main sur la mer. Le Seigneur la fit refouler par un impétueux vent d'est, qui souffla toute la nuit. Il mit la mer à sec. Les eaux se fendirent, et les Israélites descendirent à pied sec au milieu de la mer..." (*)

 

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L'arsenal médiatique enchaîne les scoops, plongeant l'observateur curieux dans le flot quotidien des informations plus ou moins exclusives ou importantes, dont la surenchère aveugle et irrationnelle précipite la chute immédiate d'un message reçu dans l'abîme de l'oubli.

Un évènement, fut-il d'importance, si tôt révélé, est chassé par le suivant, destiné au même sort dans une immédiateté récurrente.

Il en va ainsi des découvertes archéologiques. Dans le temps de leur révélation, elles suscitent enthousiasme et empressement, puis tel un feu de paille qui s'éteint, elles vacillent et sombrent dans le désintérêt général.

Elles étaient pourtant jugées d'une valeur inestimable par leurs découvreurs, qui croyaient inscrire, dans le marbre de la postérité, l'exceptionnelle richesse de leur trouvaille.

Le pavement de l'ancienne abbaye Saint-Nicaise de Reims semble avoir rejoint la cohorte des objets désormais snobés par les foules pressées d'aujourd'hui.

Au cours des siècles précédents, en dépit des efforts déployés pour leur mise en valeur par d'opiniâtres passionnés, tels les architectes Brunette en 1846 et Deneux après 1918, les 48 carreaux de pierre gravée n'attirent plus les curieux.

Pourtant ces derniers sont toujours nombreux à visiter la basilique Saint-Rémi, qui abrite désormais le pavement exceptionnel, pour lequel les historiens employaient le qualificatif "d'unicum".

C'est vrai, les touristes déambulent en grand nombre autour du tombeau du saint évêque rémois, jetant un regard furtif vers le mur du collatéral nord, qu'un éclairage artificiel signale, mais force est de constater qu'ils stationnent rarement longtemps devant le pavement, préférant poursuivre leur course effrénée, propulsés par le guide touristique de poche qui rythme leurs étapes vers d'autres sites... au répertoire plus pétillant!...

Les pavés racontent l'Ancien Testament : un sujet pas forcément alléchant!. Leur lecture demande du temps et de l'observation car le message se révèle lentement et la qualité de son écriture s'apprécie seulement après possession de quelques requis.

Difficile de trouver sur place les clés de lecture. A gauche du mur, où a été dressée la totalité des carreaux subsistants, un panneau renseigne bien le visiteur sur la datation de l'ensemble reconstitué : début XIIIe siècle, mais sans autre détail. Pour en savoir davantage, le recours aux ouvrages spécialisés s'impose.

 

L'origine du dallage

Il ne reste que 48 carreaux des 200 qui ornaient jadis l'église Saint-Nicaise détruite de 1798 à 1805. Ce magnifique édifice avait vu jour au IVe siècle sous l'aspect d'une primitive église érigée en basilique par le consul Jovin. Elle fut rebâtie totalement, croit-on, au XIe siècle par l'archevêque Gerbert. L'abbé de Saint-Nicaise, Simon de Lyon, souhaita au XIIIe siècle disposer d'une plus grande église pour son abbaye. Il confia le projet de reconstruction à l'architecte Hugues de Libergier. La nef et la façade furent édifiées entre 1231 et 1263, date de la mort de l'architecte, dont on conserve aujourd'hui la pierre tumulaire dans la cathédrale Notre-Dame. Le successeur, Robert de Coucy, s'employa à construire le chevet et les bras du transept, qui n'étaient pas terminés à sa mort en 1311. Le seul repère chronologique, permettant de dater la réalisation du chevet et la pose supposée du dallage, semble correspondre aux dates de donations des vitraux, qui s'échelonnent de 1290 à 1310.

L'emplacement du dallage n'est pas mentionné avec exactitude, il se situait probablement à la verticale de la clé de voûte de l'abside. Le nombre de carreaux est incertain lui aussi : une estimation minimale raisonnable annonce le chiffre de 200.

De 1760 à 1764 l'intérieur de l'église Saint-Nicaise est fortement remanié.

 

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L'ancienne église Saint-Nicaise photo : Web Wikipédia de Garitan

 

Pendant les travaux, le dallage est déplacé et repositionné au sol des chapelles voisines. Puis l'église abbatiale est vendue et démolie au début du XIXe siècle. Une petite partie des carreaux est rachetée par un habitant de Verzenay, M. Traussat, pour décorer sa cuisine et la cour de sa demeure.

En 1846 l'habitation appartient à la Veuve Cliquot ; elle vend les restes de l'antique dallage à la ville de Reims en échange de dalles neuves.

L'architecte Brunette dispose le précieux trésor dans la chapelle Saint-Eloi, au sud du déambulatoire de l'abbatiale Saint-Rémi.

Ce n'est qu'après la guerre de 1914/18 qu'Henri Deneux relève les 48 carreaux et les dispose, après restauration, sur le mur du collatéral nord.

Une œuvre originale et unique

Il s'agit «d'une œuvre originale et même unique à certains points» déclarent les auteures de l'article page 12 (1).

 

La technique :

 

La technique s'inspire davantage de la gravure que de la sculpture. Elle consiste à creuser une gorge dans une pierre de liais au grain fin, et de la remplir de plomb.

Le motif à réaliser est dessiné à la mine de plomb sur la surface polie du carreau de pierre, puis par une succession de perforations verticales et rapprochées, est réalisée une incision de 2 à 3 mm de largeur à l'aide d'un ciseau. Le fond de la gorge est légèrement élargi. Le plomb chaud est coulé à l'intérieur et ajusté par martelage afin qu'il occupe la totalité du volume du réceptacle. Refroidi, le métal demeure prisonnier de son contenant. Avec l'usure provoquée par les passages répétés, la pierre au grain serré offre un beau poli, «au point de lui donner une apparence d'albâtre.»(1) p.12

La perforation préalable de la pierre, en créant des vides dans sa texture, évite les éclatements lors de la taille au burin. La technique était bien connue des "ymagiers" du Moyen Age qui ont laissé nombre de sculptures criblées de ces perforations effectuées au trépan. La réalisation d'un décor fouillé nécessite de privilégier des points de fuite artificiels afin qu'un coup maladroit du ciseau ne fuse trop loin ; ainsi peut être évité l'éclatement de la pierre lors d'une taille en finesse (exemples au prieuré de Serrabone - Pyrénées Orientales -  ou sur les décors des églises romanes de la Dombes).

Les dalles de Saint-Nicaise «affectent la forme de carrés et sont disposées en losanges ; chacune d'elles offre des figures dont les traits sont dessinés en creux dans la pierre incrustée de plomb. Ces figures, encadrées dans des médaillons à quatre, à huit et à douze lobes, représentent une suite de scènes bibliques, depuis le Déluge jusqu'à Daniel.

On y voit d'abord la construction de l'Arche, puis l'histoire de Loth et la destruction de Sodome, le sacrifice d'Abraham et les divers épisodes de l'histoire de Moïse et de Daniel.

Ce pavage nous fournit un exemple rare et précieux d'un procédé qui avait remplacé la mosaïque concurremment avec les carreaux vernissés, et qui d'une production plus facile, unissait la simplicité à l'élégance.» (6)

A l'époque gothique la technique de l'incrustation en pierre et en terre cuite remplace en effet l'art de la mosaïque. Elle s'apparente au procédé du niellé qui consiste à incruster de l'émail noir dans le sillon gravé d'une plaque de métal, un art parfaitement maitrisé par les orfèvres du Moyen Age, qui a sans doute inspiré les auteurs des premiers pavements incrustés.

...«On a vu que, dès 1090 et 1109, les mosaïques de Reims et de Saint-Omer étaient mêlées de dalles. A Saint-Bertin de Saint-Omer, ces dalles sont en pierre blanche incrustées de mastic noir ; on y voit un lion et d'autres figures ; dans les parties les plus récentes du pavement, ces dalles étaient plus nombreuses ; c'est qu'en effet, au moment où l'architecture et la sculpture renouvelaient toutes leurs pratiques dans le Nord de la France, le pavement en dalles incrustées supplanta complètement la mosaïque.» (2)

Dans le même genre, les pavements de la cathédrale de Saint-Omer et ceux de Thérouanne sont conçus selon le procédé des émaux champlevés, leurs motifs sont taillés en réserve et le reste de l'espace est comblé par du mastic coloré.

La spécificité du dallage rémois est d'être exclusivement réalisé à l'aide de plomb fondu, mais comme le souligne Camille Enlart, la technique est déjà vieille de deux siècles. Elle est même assez répandue puisqu'elle est utilisée pour la confection de certains labyrinthes (cathédrale de Sens, de Reims : détruit...) mais surtout pour les plates-tombes. Les tombiers utilisaient le mastic qu'ils incrustaient dans la pierre, voire le marbre (marbre blanc dans la pierre de Meuse) et aussi le plomb. La pierre tombale de l'architecte Hugues Libergier est remplie de plomb.

 

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La pierre tombale de Hugues Libergier restaurée en 2009 par l'atelier Le Sciapode, photo issue du site web :

http://www.culture.gouv.fr/champagne-ardenne/3documentation/nav2_libergier.html

 

 

 

 

A propos du dallage de Reims, Viollet-le-Duc précise : «Il n'est pas besoin de dire que ces sortes de dallages coûtaient fort cher, et qu'on ne pouvait les placer que dans des églises riches, dans les sanctuaires et quelques chapelles privilégiées. Souvent on se contentait de dallages unis ou composés de carreaux noirs et blancs. Alors les dessins sont variés, les carreaux à l'échelle du monument et généralement de petite dimension.» (5)

 

Le thème iconographique :

 

Le thème iconographique ciblé exclusivement sur des scènes narratives de l'Ancien Testament qui commencent à Noé et s'achèvent avec Daniel, confère au dallage de Saint-Nicaise un caractère d'unicité.

Dom Marlot (1596 - 1667), le "restaurateur de l'histoire rémoise", a effectué son noviciat dans l'abbaye de Saint-Nicaise, puis en est devenu grand-prieur. Il a donc connu la totalité du pavement sur son emplacement originel. Il écrit à son sujet : «le pavé du sanctuaire est assez rare, à cause de l'histoire du Vieil Testament, depuis noé jusqu'à Daniel, qui est gravée sur des pierres de lozange, dont les traits sont remplis de plomb pour les rendre visibles à la veue...» (3)

Le dallage n'a pas d'équivalent dans les périodes qui ont précédé sa pose car les scènes bibliques ont été longtemps interdites de représentations : «...on peut penser que vers le IVe siècle ou le début du Ve siècle, certains décorateurs d'églises firent représenter sur le pavement des scènes bibliques ou évangéliques, des symboles religieux, mais cette tentative scandalisa et on regarda comme inconvenance de figurer ces images que les fidèles étaient obligés de fouler aux pieds. Sans doute, l'intention n'y était pas, mais c'était déjà trop du geste. Rien à notre connaissance ne s'est conservé de ces pavements, mais il n'est pas douteux qu'on s'y soit exercé puisqu'une loi de Théodose et de Valentinien, du 17 mai 427 interdit sous les peines les plus rigoureuses de placer l'image du Christ sur le sol...» (4)

 

Les scènes répertoriées au XIXe siècle peuvent être regroupées en six cycles avec :

- Noé : 1 carreau

- Abraham : 8 carreaux

- Jacob : 6 carreaux

- Joseph : 1 carreau

- Moïse : 18 carreaux

- Daniel : 17 carreaux

3 carreaux détériorés n'ont pu être repositionnés.

Désignation des dalles :

1. Construction de l'Arche

2. Loth donne l'hospitalité aux anges

3. Loth force ses gendres à quitter Sodome

4. Les anges pressent Loth lui-même de quitter la ville

5 . La femme de Loth changée en statue

6. Sacrifice d'Abraham

7. Isaac bénit Jacob

8. Colère d'Esaü et stupéfaction de Jacob

9. Echelle de Jacob

10. Jacob reçoit de Laban l'ordre de garder ses troupeaux

11. Lutte de l'ange contre Jacob

12. Bénédiction de Jacob après la lutte

13. Jacob bénit ses enfants

14. Moïse et Aaron changeant la verge en serpent

15. Les grenouilles dans le palais de Pharaon

16. Les moucherons

17. Les animaux atteints de la Peste

18. Le Seigneur fait pleuvoir la grêle sur l'Egypte

19. Les ténèbres couvrent les Egyptiens, tandis que la lumière luit pour les Israélites

20. Mort des premiers-nés ; une mère montre son enfant mort à Pharaon

21. Fuite dans le désert, figurée par des chameaux

22. Poursuite des Israélites par les soldats de Pharaon

23. Moïse exhorte les Hébreux dans le désert

24. Séparation des eaux de la Mer Rouge

25. Passage de la Mer Rouge

26. Les Egyptiens y suivent les Hébreux

27. Destruction de l'armée égyptienne

28. L'eau du rocher

29. Aaron soutient le bras de Moïse priant pour les Israélites

30. Le serpent d'Airain

31. Les Israélites adorent les faux dieux des filles de Moab

32. Moïse brise les idoles

33. Nabuchodonosor convie les adorateurs de son idole au son de la harpe

34. Les trois compagnons de Daniel dénoncés à Nabuchodonosor

35. Résistance de ces trois jeunes aux ordres du roi

36. Les trois victimes dans la fournaise ; un ange entouré d'un nimbe crucifère les accompagne

37. Nabuchodonosor réduit à la condition des animaux

38. Daniel explique la vision de Balthazar

40. Prophétie de Daniel, relevé par la main divine de son état de faiblesse. Au sommet de cette dalle on lit en abrégé le nom de Nabuchodonosor et ceux de Daniel et de Cyrus

41. Suzanne au bain (fragment)

42. Suzanne et sa famille comparaissent devant les vieillards

43. Accusation de Suzanne

44. Suzanne condamnée à mort

45. Prière de Suzanne

46. Contradiction des vieillards, qui désignent deux arbres différents, sous lesquels le crime de Suzanne aurait été commis

47. Confusion des prêtres de Baal et preuves de leur stratagème

48. Daniel dans la fosse aux lions

 

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Reconstitution du pavement tel qu'il apparait aujourd'hui

 

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Dans Reims Histoire Archéologique RHA avril 1987 d'après Revue de l'Art 1976 n°31 Planches GG7 (RB G 126)

 

Les deux auteures de l'étude (1) démontrent l'absence d'intention typologique dans la représentation des sujets bibliques. En effet, le plus souvent  la lecture des scènes de l'Ancien Testament comporte des éléments annonciateurs du Nouveau Testament. Ce n'est pas le cas, dans l'illustration  de celle montrant Isaac gravissant la montagne devant Abraham (carreau 6), où le fagot, vu habituellement comme le symbole de la croix de Jésus, est absent du décor

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Abraham et Isaac gravissent la montagne

Gen (XXII, 6 et 7) "Abraham prit le bois de l'holocauste et le chargea sur son fils Isaac ; il tenait lui-même en mains le feu et le couteau, et ils s'en allèrent tous deux ensemble. Isaac dit à son père Abraham : « Mon père! » - « Oui, mon fils. » Isaac reprit : « Voici le feu et le bois ; mais où est la brebis pour l'holocauste ? »" (*)

 

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La célèbre scène du sacrifice d'Abraham Gen (XX, 10 à 13)

 

Les deux historiennes montrent qu'à l'origine les carreaux devaient se lire horizontalement selon une succession linéaire. Parmi les exemples cités figure le procès de Suzanne pour lequel deux carreaux illustrent des événements rapportés au même moment, ce qui conduit à penser qu'ils devaient être disposés côte à côte dans le sanctuaire de Saint-Nicaise. (carreaux 39 et 40)

 

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Suzanne et sa famille sont appelés au procès

Dan (XIII, 30) "On l'alla quérir ; et elle arriva avec ses parents, ses enfants et les membres de sa famille" (*)

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Suzanne est accusée par les deux vieillards

Dan (XIII, 34 à 40) "Les deux anciens se levèrent devant tout le monde et posèrent la main sur sa tête, tandis qu'elle, tout en pleurs, mais le cœur plein de confiance dans la Seigneur, regardait vers le ciel" (*)

 

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 Le cycle consacré au procès de Suzanne est un exemple choisi parmi d'autres pour montrer que l'idée de Rédemption couvre l'ensemble des scènes iconographiques. Les inscriptions en français (noms des personnages et des lieux) d'une calligraphie élégante recourent parfois aux abréviations. Toutefois des erreurs historiques y sont relevées. «Dans la scène de Daniel sorti de la fosse (Dan VI, 24) (n°38) : la présence des noms de Sirus et de Nabuchodonosor sur ce carreau illustrant un événement placé sous le règne de Darius, est pour le moins étrange.» (1) page 13

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Daniel sorti de la fosse

«Cependant, d'autres carreaux, parmi les plus réussis du point de vue artistique - les deux aspects étant certainement liés - offrent une recherche évidente dans l'iconographie, qui se traduit parfois par une création formelle d'une étonnante puissance dramatique révélant des artistes de grande valeur. Ainsi, l'évocation de Moïse, serré entre Aaron et Hur qui soutiennent avec effort un seul de ses bras, offre un contraste intéressant avec la même scène telle qu'elle apparaît dans la plupart des manuscrits de la même époque, où Moïse est souvent assis sur une pierre ou agenouillé, entouré d'Aaron et d'Hur qui lui soutiennent chacun un bras.... ...L'image de Moïse fatigué, évoquée dans le texte biblique est ici remarquablement soulignée par la figuration du personnage solidement maintenu debout par ses deux compagnons, offrant leurs corps arc-boutés comme soutiens. L'accent est alors mis sur le bras levé, porté par plusieurs mains et jaillissant au-dessus des têtes. Le rapport texte-image n'est pas essentiel, car il ne suffit pas à expliquer cette extraordinaire modification du thème. Aucune intention typologique n'a présidé à son élaboration : la signification symbolique de la scène, créée par la position symétrique des bras de Moïse, telle qu'elle est indiquée dans les Bibles Moralisées, disparait totalement au profit d'une recherche de théâtralisation du geste et de participation à l'action.» (1) page 13

 

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Moïse, Aaron et Hur pendant la bataille livrée par Israël contre Amalech

Exode (XVII, 10 - 13) " Josué obéit à Moïse et s'en alla combattre Amalech, tandis que Moïse, Aaron et Hur montaient au sommet de la colline. Tant que Moïse tenait la main levée, Israël avait le dessus, mais lorsqu'il la laissait retomber, Amalech l'emportait. Comme les bras de Moïse se fatiguaient , on mit une pierre sous lui pour qu'il s'assit, tandis qu'Aaron et Hur lui soutenaient les bras de chaque côté : ses mains purent ainsi tenir ferme jusqu'au coucher du soleil, et Josué défit Amalech et son peuple au tranchant de l'épée." (*)

 Le ou les artistes de cette saga biblique ont su aussi manifester leur goût du pittoresque en multipliant les détails, tels que «les ustensiles familiers portés par la famille de Loth fuyant Sodome ou les traces de pas laissés dans la cendre par les adorateurs de Baal que Daniel a démasqués.» (1) page 13

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Loth fuyant Sodome Gen (XIX, 26)

 

Ces artistes ont également fait preuve d'une grande habileté dans la composition des scènes en les adaptant avec harmonie aux contraintes du cadre. Ainsi dans la figuration des soldats de Pharaon lancés à la poursuite des hébreux, les pieds des personnages d'un côté, les sabots des chevaux de l'autre, reposent sur le plat du redent du quadrilobe, pour offrir au trait l'économie du graphisme d'un relief.

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Pharaon poursuit les Hébreux Exod (XIV, 7 à 9)

 

Les exemples pourraient être multipliés, tout comme les signes qui rendent la lecture la plus explicite possible.

Moïse, plusieurs fois représenté, apparait avec deux cornes de lumière au front afin que son identification soit sans ambiguïté parmi les autres personnages. Son rayonnement, figuré par les cornes, n'est pourtant évoqué dans le récit biblique, que longtemps après, lorsqu'il rencontrera Dieu sur le mont Sinaï.

 

«La grande qualité artistique du pavement de Saint-Nicaise en fait une œuvre exceptionnelle qui supporte la comparaison avec les plus beaux manuscrits, vitraux ou plates-tombes du début du XIVe siècle...  C'est  une œuvre originale tant par son type et sa technique que par son iconographie et son style.» (1)

 

Le pavement de Saint-Nicaise suscite-t-il toujours une admiration inconditionnelle?... La réponse a été franchement positive pour le XIXe siècle qui en fit sa redécouverte et sa promotion.

Un artiste rémois, Auguste Coutin, a même voulu relever le défi en imitant les maîtres tombiers de Saint-Nicaise. Il exécuta en 1898, avec la même technique, un pavement illustrant le récit de Joseph dans la Genèse. Son chef d'œuvre occupe la chapelle Saint-Joseph de la cathédrale de Reims. Son histoire mériterait d'être contée... ici, un jour peut-être dans une autre page de ce blog?...

JLC

 

Bibliographie

(1) Le pavement de l'ancienne abbatiale Saint-Nicaise de Reims. Maryse Bideault et Claudine Lautier. Dans Revue de l'Art 1976. N° 31 qui constitue l'essentiel de la source des propos retenus ici.

(2) Manuel d'Archéologie Française Camille Enlart - 1929  1ère partie, tome II : L'architecture Religieuse.

(3) R. P. Dom Guillaume Marlot. Histoire de la Ville, Cité et Université de Reims Métropolitaine de la Gaule Belgique MDCCCXLVI 3ème Volume page 334.

(4) Dictionnaire d'Archéologie Chrétienne et de Liturgie tome 13 article : Pavement page 2734. par Dom Fernand Cabrol et Dom Henri Leclercq. 1869 - 1945. Letouzey et Ane Editeurs

(5) Dictionnaire raisonné de l'architecture française. Viollet-le-Duc. Tome 5ème pages 17 et 18.

(6) L'église de Saint-Rémi de Reims par L. Demaison - 1913.

(*) La Sainte Bible. Version établie par les moines de Maredsous avec la collaboration des moines de Hautecombe BREPOLS Paris - TURNHOUT Belgique 1968.  Imprimeur F. Toussaint Namur



27/01/2015
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