L'insolite de l'art chrétien : églises de Champagne-Ardenne

L'insolite de l'art chrétien : églises de Champagne-Ardenne

JONVAL : un coq qui boit aux nuages

Clocher pointu

 

"Du haut de mon clocher pointu comme un glaive, mon coq peut boire en plein nuage". Qui suis-je? La réponse à ce qui pourrait constituer la première partie d'un rébus se découvre à la lecture d'une poésie chantée composée par Bruge-Lemaître en 1889 (1).

Le clocher de Jonval, - c'est de lui dont il s'agit - se dresse majestueusement au-dessus du village et des environs. Planté "comme une quille" au centre du Tourteronnais, il monte sur le podium des finalistes dans la compétition des plus hauts clochers de la campagne ardennaise. Avec ses 43 mètres de hauteur, il est sur la marche juste en-dessous des clochers de Neuville-les-This : 57 m. et de Manre : 53 m.

Autre sujet de satisfaction, l'église de Jonval a une belle histoire que nous a contée, il y a longtemps, l'abbé Alexandre, son curé. En cette époque de fin XIXe siècle, les érudits locaux, curés, instituteurs, se livraient à l'écriture de l'histoire de leur village, de ses habitants et de leur église. Beaucoup de ces monographies ont disparu, détruites au cours des guerres ou oubliées par les générations suivantes. Rares, donc, sont celles qui subsistent dans les rayonnages des bibliothèques. Par chance la monographie de Jonval est du nombre. C'est une aubaine pour le visiteur pressé pour la circonstance, de pousser la porte de l'église Notre-Dame, notes historiques en main.

 

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Photo web issue du site : http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Jonval_(Ardennes)_%C3%A9glise,_vue_lat%C3%A9rale.JPG

Un peu d'histoire d'abord

Le nom de Jonval dériverait du latin Joannis, un domaine appartenant au citoyen Jean sous la domination romaine. L'ère chrétienne étant déjà bien avancée, les habitants de Jonval, bien que dépendant de la paroisse de Baâlons, disposèrent tout de même d'une chapelle de secours pour l'exercice du culte. Elle figure dans les colonnes du pouillé de 1346 de la province de Reims. Les pouillés, sorte de codex, nombreux au XIVe siècle, permettaient de lever, sans commettre d'oublis, les décimes prélevées sur chaque église détenue par les évêchés. Le prélèvement de 1/10ème des revenus du clergé (décime évoluera en dîme) servait à financer les coûteuses croisades de ces époques. Le pouillé précise que la chapelle est placée sous l'invocation de la Vierge. Dans un pouillé postérieur (Pouillé Général d'Alliot de 1648), il est fait mention d'un autel dédié à saint Jean dans le sanctuaire de Jonval qui a pour patronne la Sainte Vierge fêtée le jour de sa Nativité.

Jonvaliers et Jonvalières se contentent de leur modeste chapelle pendant plusieurs siècles. Elle finit par tomber en ruine vers la fin du XVIIIe et doit être reconstruite en 1776. Le nouveau bâtiment est érigé en église paroissiale aussitôt la Révolution. Son emplacement se situait au niveau du bas-côté sud (côté épitre) de l'église actuelle qui a conservé son orientation.

En 1828, la commune souhaita agrandir la petite église, qui ne possédait qu'un chœur et construire un nouveau clocher plus élevé afin que, désormais, le son de l'unique cloche soit entendu depuis tous les points du village. Le projet remonta jusqu'au Préfet, mais il ne fut jamais réalisé.

La Fabrique d'alors ne reste pas inactive. Dès 1842, elle commande de nouveaux bancs et un nouvel autel en bois. C'est aussi à cette époque que le cimetière, qui entoure la petite église, se voit doter d'un nouveau mur réalisé en pierre de Touligny.

Le destin du bâtiment voué au culte va basculer avec l'arrivée d'un nouveau curé : l'abbé Antoine Stevenin.

 

Un curé bâtisseur

 

Antoine Stevenin est né à Auboncourt en 1801 (2 floréal An IX). Il étudie au Petit Séminaire de Charleville, puis part faire sa théologie au Grand Séminaire de Reims.

Il est ordonné prêtre en 1825. Nommé curé à Guincourt et Jonval, il y terminera son ministère au jour de son décès, le 19 décembre 1871. Il n'envisage nullement d'aller porter la bonne Parole ailleurs qu'à Guincourt et Jonval. Sa devise est simple : «Hæc requies mea!» (C'est ici le lieu éternel de mon repos!). Il a fait sienne la fameuse réplique attribuée à David dans le Psaume 131 (132 chez les Hébreux) : «Hæc requies mea in sacculum sæculi hic habitato quoniam elegi eam», qui peut se traduire ainsi : c'est mon lieu de repos à toujours, j'y habiterai car je l'ai désiré.

Le curé Stevenin assume sa charge pastorale avec beaucoup d'opiniâtreté. Malgré les mauvais chemins souvent impraticables, il se rend à Jonval 2 à 3 fois par semaine quelle que soit la saison. Il est d'ailleurs mort, victime de son devoir pastoral. Par une nuit glacée, en plein mois de décembre, il est appelé au chevet d'un mourant. Il rentre chez lui de cette sortie glaciale avec une fluxion de poitrine, comme on disait en ce temps là!. La pleurésie (ou la pneumonie?) lui sera fatale.

 En 1862, la vieille église de Guincourt s'effondre. L'abbé Stevenin se met en tête d'en reconstruire une nouvelle; "je ferai une église à Guincourt et je la ferai belle" clame-t-il à son entourage. Les fonds manquent atrocement pour réaliser ce rêve un peu fou. Qu'à cela ne tienne! L'abbé prend sa plume, qu'il a facile, et rédige une touchante supplique adressée à plus de 50 000 destinataires; parmi eux figurent des châtelains, des prêtres administrateurs, des riches, des âmes charitables...Son mailing, dirait-on aujourd'hui, produit ses fruits et l'argent afflue de partout. Fin 1868, une église jugée remarquable pour son architecture et son ornementation, se dresse au milieu du village de Guincourt.

Cette plume d'écrivain, il la mettra au service de l'Église et de ses compatriotes en publiant plusieurs ouvrages. L'instituteur de Guincourt, M. Taillart-Jaunet (né à Ecordal en 1817, décédé en ce lieu en 1897)  est son secrétaire mais aussi son éditeur nominal.

Signalons quelques-unes de ces œuvres pour mémoire à l'intention des passionnés :

- Sujets de circonstances ou recueil d'allocutions et de discours pour toutes les circonstances ordinaires et extraordinaires du ministère pastoral, et destinés à MM. les curés et vicaires des villes et des campagnes. -1848. in 8°

- Instructions pastorales, cours suivi et complet sur les commandements de Dieu et de l'église. Charleville - 1855. in 12°

- Le Bon Pasteur, cours complet d'instructions neuves et pratiques sur toutes les vérités de la religion. Mézières. - 1856

- L'écho de la chaire, nouveau cours complet d'instructions familières sur toutes les vérités de la religion. Mézières. Imprimerie Lelaurin - Martinet 2 volumes in 8°

- Martin, le prêtre devant le siècle. Guincourt. - 1858

- Soirées amusantes, recueil nouveau et varié d'historiettes curieuses piquantes, anecdotes, bons mots etc... Charleville 1865 in 8°

- Les mille et une merveille de la France. Recueil et description de tout ce qu'il y a eu en France. Guincourt. - 1861. in 8°

Et ce livre que tout bon Français aimerait posséder pour écrire et parler à merveille notre langue :

- Grammaire française théorique et pratique par demandes et par réponses. -1833. 2 volumes. Imprimerie Garet. in 8°

Le site gallica bnf propose heureusement encore les 2 volumes en lecture, une chance, car ils sont devenus introuvables aujourd'hui dans leur version d'origine.

http://gallica.bnf.fr/Search?adva=1&adv=1&tri=&t_relation=%22cb314065319%22&lang=fr

 

Le succès obtenu à Guincourt encourage l'abbé Stevenin à concevoir le même projet pour ses paroissiens de Jonval dont l'église est devenue «une pauvre masure, trop ressemblante à l'étable de Bethléem.». Il récidive l'appel de fonds par l'envoi de nombreux courriers tant en France qu'en Belgique, en Hollande et jusqu'en Amérique.

Le 3 janvier 1869, le conseil de Fabrique donne son accord de principe pour bâtir une nouvelle église. Les travaux sont confiés, après adjudication, à l'entreprise meusienne de M. Victor Paulus de Lahaycourt. Le lundi de Pâques 1870, commence la démolition de la vieille église.

 

Une église neuve pour Jonval

 

Le conseil de Fabrique, dont fait partie l'abbé Stevenin, confie l'établissement des plans et du devis à un architecte de Bar-le-Duc, Ernest Birglin.

C'est un architecte de talent dont il convient de souligner la mémoire qui mériterait davantage qu'un résumé de quelques lignes.

Né le 19 janvier 1833 à Bar-le-Duc, le jeune Pierre-Ernest Birglin est doué pour les arts. Le 25 juillet 1854 il sollicite un secours pour suivre les cours de la prestigieuse École Impériale des Beaux-Arts ; il vient d'obtenir avec succès les deux premiers examens d'admission. Une subvention lui est accordée, elle sera plusieurs fois renouvelée. Ces secours octroyés par le Conseil Général de la Meuse l'aideront à entreprendre un voyage en Italie pour y faire des études sur les monuments du pays qui le fascinent.

Il étudie dans les ateliers renommés de M. Questel, architecte du palais de Versailles et de Claudius Lavergne peintre d'histoire à Paris. Il aime aussi les mathématiques, et obtient en 1857 une médaille avec mention spéciale très honorable pour sa réussite à un examen.

En sa qualité d'architecte Ernest Birglin est notamment chargé de transformer l'ancienne annexe Notre-Dame de Bar-le-Duc en église, placée sous le vocable de saint Jean en 1875. Malheureusement la mort frappe dans la fleur de l'âge cet architecte plein de mérite. Il décède dans sa ville natale, à 46 ans, le 26 mai 1879.

A Jonval, l'architecte Birglin offre gratuitement ses services. Il y conçoit un édifice plus beau qu'à Guincourt, dans un style plus sévère mais plus religieux. Il privilégie le néo-gothique, qui imite le style ogival du XIIIe siècle en lui ajoutant une touche d'élégance. Le matériau utilisé provient des carrières de Feuchères et de Dom-le-Mesnil.

La pierre principale de la nouvelle église, celle de la première assise du pilier du transept, côté nord (celui de l'Évangile) est officiellement bénite le 21 mai 1870. La cérémonie est conduite par le doyen Foissier de Tourteron en présence du clergé des environs et des autorités civiles. Pour immortaliser l'événement, un trou est creusé au centre de la pierre, dans lequel est déposée une boîte en métal contenant des pièces de monnaie de l'année courante et un parchemin.

Les travaux marquent un temps d'arrêt pendant la guerre de 1870. Mais la nouvelle église est finalement livrée au culte le 8 septembre 1872, jour de la Nativité de la Vierge à qui elle est dédiée. Par délégation de l'archevêque, l'abbé Haizeaux procède à la bénédiction de l'édifice le 15 septembre 1873.

L'abbé Stevenin, l'auteur de ce bel ouvrage, n'est plus là pour assister à l'inauguration, il n'y aura jamais célébré. Son successeur, Remi-Constant Haizeaux achèvera son œuvre notamment par l'acquisition du mobilier liturgique ; comme lui, il rayonnera par ses publications.

Le corps de l'abbé Stevenin reposait sous un dalle en marbre blanc dans l'église de Guincourt. Son portrait se voyait au bas d'un vitrail de l'abside détruit pendant la guerre.

Un curé curieux d'histoire locale

 

Remi-Constant Haizeaux est né à Attigny en 1836 de parents modestes. C'est un enfant intelligent et observateur qui est remarqué par l'abbé Hulot. Il entre au Petit Séminaire de Reims. Pendant les vacances, il apprend le latin auprès de l'abbé Balteaux avec deux confrères, les futurs chanoines Broyé et Nicole. Il est ordonné prêtre en 1862 et nommé à Marquigny où son passage sera marqué par son implication dans la construction de la chapelle du château.

L'abbé Haizeaux est affecté à la cure de Guincourt et Jonval en 1872, il y reste jusqu'en 1906, contraint de se retirer à Attigny en raison d'infirmités qui le font souffrir et qui ne lui permettent plus d'assurer son sacerdoce. Il y décède le 18 avril 1914.

En plus de son ministère pastoral, l'abbé se passionne pour la galvanoplastie, la photographie et l'astronomie. Il travaille aussi à la rédaction de nombreux ouvrages qu'il imprime lui-même. Ce sont notamment les fameuses monographies aujourd'hui tant prisées par les amateurs d'histoire locale :

- Notice sur l'abbaye de Longwé. 1896

- Histoire de Tourteron. 1897

- Monographie de Lametz. 1898

- Monographie de Guincourt. 1899

 

Une église digne d'une basilique 

L'architecte Birglin a conçu le plan de l'église selon les préconisations de l'époque avec un haut clocher dressé au-dessus de la façade occidentale.

Précédés d'un emmarchement à cinq niveaux, les vantaux du portail consolidés par de belles ferrures ouvrent sur un vestibule.

A l'extérieur, de part et d'autre du portail, trois colonnes, disposées en retrait de chaque côté, supportent la retombée des voussures. Leur chapiteau s'orne d'un simple astragale et d'un tailloir sans décoration. Le tympan est percé de trois lancettes dont l'arc brisé a été souligné par une moulure. Au-dessous, les claveaux du linteau affichent chacun un décor stylisé en forme de motif floral quadrilobé. Un fronton triangulaire, percé d'un oculus à huit lobes ourlés, porte une croix métallique à son extrémité.

Tout ce bel ensemble se cale entre deux contreforts dont les larmiers rythment l'élévation de la façade.

Deux tourelles coiffées de poivrières en pierre s'adossent aux bases du clocher. L'extrémité de leur cône porte un pinacle à crochets.

 

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Une belle rosace au remplage parsemé d'ouïes quadrilobées, s'ouvre en son centre par une baie à six lobes.

Les faces de la tour sont percées d'une série de trois lancettes qui reçoivent les abat-sons. Les fines colonnes qui encadrent ces ouvertures sont munies de chapiteaux à crochets.

Au sommet, la tour se pare d'une couronne qui repose sur des corbeaux d'inégale importance. Ceux, qui sont disposés dans les angles, sont renforcés car ils portent la charge de quatre clochetons effilés qui se dressent au pied de la haute flèche.

Dans cette façade, tous les éléments tendent à renforcer la notion de verticalité délibérément voulue par les bâtisseurs. Elle traduit un appel à l'élévation qui sublime le caractère sacré de ce clocher chanté par Bruge-Lemaître.

Les parties hautes de la nef, du transept et de l'abside éclairent l'intérieur du vaisseau par une suite de roses à six lobes ; quatre lancettes habillent les murs plats des bras du transept.

 

Intérieur. Descriptif. 

 

La disposition des volumes intérieurs évoque celle d'une basilique. Les tons chauds de la pierre de Dom mariés au coloris clair de celle de Feuchères produisent une des plus heureuses associations de couleurs.

Au-dessus du vestibule d'entrée assimilable à un narthex, une galerie voûtée occupe toute la largeur de l'étage.

 

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Au centre de la croisée, une ouverture circulaire permet le passage d'une cloche. L'abbé Alexandre relate dans ses notes la présence de deux cloches. Il précise que le clocher possède une horloge avec trois cadrans et des carillons de trois timbres. L'horloge porte la marque : J. Guioth à Stenay. Une plaque de cuivre, attachée à la boîte du mécanisme rappelle le nom du donateur : «Don de M. Poncelet Hubert, dit Barry, à Jonval, Xbre 1888».

A l'avant de la galerie, face à la nef, une balustrade en pierre ajourée d'arcades et de quadrilobes englobe un groupe de colonnettes qui supporte la retombée des arcs d'une grande ouverture centrale et de deux plus petites réparties de chaque côté. Cette composition fort réussie attire les regards pour son élégance.

Au rez-de-chaussée entre vestibule et nef, une large ouverture en arc brisé s'embellit de colonnes aux chapiteaux munis de motifs floraux imposants, comme ceux qui ornent les chapiteaux des piliers de la nef. Les travées de celle-ci communiquent avec les collatéraux par de grandes arcades en arc brisé mouluré. La grâce du vaisseau transparait surtout au travers de la fausse galerie qui aligne une succession d'arcades à l'étage supérieur de la nef.

 

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A gauche le grand Christ acheté par les habitants de Jonval; A ses pieds, le crâne et les os allongés figurent les restes du corps d'Adam car Jésus est  crucifié pour racheter sa faute achevant ainsi le cycle.

 

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Les corbeilles des chapiteaux de tout l'édifice sont parées de motifs floraux variés le plus souvent peints.

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De même les clés de voûte ont reçu un décor soigné.

 

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Les sculptures sont réalisées par l'atelier de M. Nicolas-Edouard Forgeot de Bar-le-Duc.

Aux murs des bas-côtés, quatre pierres saillantes soutiennent les arceaux des voûtes, elles portent, gravées, les lettres initiales des personnes impliquées dans la construction de l'église :

S.A. pour Stevenin Antoine

B.E. pour Birglin Ernest

H.C. pour Haizeaux Constant

N.D. pour Noblet Désiré

 

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Mobilier

 

Le maître-autel est en pierre, il a été réalisé par la maison Aubry fondée en 1845 à Gespunsart (08). Cet atelier de menuiserie-ébénisterie a également confectionné la chaire à prêcher en bois, huit stalles en chêne, et deux crédences en pierre. Au-dessus du tabernacle une statue de type sulpicien représente saint Joseph tenant le rameau de lys entre deux doigts, ses mains sont posées sur les épaules de l'Enfant Jésus qui bénit de la dextre. Sur la table du maître-autel, désormais inutilisée depuis la réforme Vatican II, est déposée une statuette du Jésus de Prague, son culte connut jadis une grande ferveur dans la région.

 

Deux petits autels sont l'œuvre de M. A. Dautel d'Attigny.

La statuaire sulpicienne appartient à cet art populaire si décrié et pourtant attachant qui explose au XIXe siècle. Elle figure ici dans les représentations de :

- la Vierge de l'Immaculée Conception apparue à Bernadette Soubirous dans la célèbre grotte de Lourdes

- sainte Anne instruisant sa fille Marie enfant

- saint Eloi

- du Sacré Cœur de Jésus

- du Cœur Sacré de la Vierge

- sainte Thérèse de Lisieux

- saint François-Xavier, le fondateur des jésuites

 

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la Vierge allaitant provenant du lieudit L'Epine

 

De la vieille église il ne restait en 1870 qu'une cloche, un calice, un ciboire, un ostensoir en cuivre argenté, des chandeliers, le coq du clocher, la pierre consacrée et le tabernacle de l'autel remisés dans la sacristie qui venait d'être inaugurée. Une autre pièce, intéressante pour son thème iconographique et son histoire faisait partie du lot, elle mérite quelque attention.

Il s'agit d'une statue en pierre de la Vierge allaitant l'Enfant Jésus. Albert Meyrac a raconté son histoire (4) :

«Il y aura deux cents ans bientôt, on trouvait, en fouillant le sol, en ce lieudit (L'Epine), une statue grossièrement sculptée dans la pierre, qui représentait la Vierge allaitant l'enfant Jésus. Souriante, assise sur un siège sans dossier, elle est vêtue d'une robe décolletée et d'un manteau, coiffée d'un voile et d'une couronne ; elle couvre, des plis de son manteau, Jésus tout nu qui boit au sein maternel. Cette statue, haute d'environ un mètre, et que l'on conserve dans l'église de Jonval, était, jadis, adorée. A chaque veille de fête solennelle, les dévotes rivalisaient de zèle pour l'habiller de vêtements somptueux. Dans cette même église, une autre «Notre-Dame» en chêne, d'origine très ancienne, et qui, avant la Révolution, appartint à la famille Vassart. Debout, la madone porte sur le bras gauche l'enfant Jésus qui bénit de la main droite et, de la main gauche, tient le globe du monde»

 

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"L'origine très ancienne" est contestée par l'abbé Sery dans son ouvrage sur la statuaire mariale dans les Ardennes (année 1977). Il propose une datation de la fin XVIIIe ou début XIXe siècle qui parait tout à fait justifiée. Quant à la Vierge allaitante, l'auteur évoque le XVe siècle puis se résout à émettre l'hypothèse d'une possible copie beaucoup plus tardive.

L'abbé Alexandre (2) ajoutait à propos de la Vierge allaitante :

«... Cette antique image de la Mère de Dieu a toujours été en grande vénération à Jonval, surtout dans l'ancienne église....

... C'est en effet une tradition générale dans le pays que cette statue a été trouvée au lieudit l'Epine, à l'endroit où s'élève encore aujourd'hui un antique buisson ; mais personne ne peut dire par qui ni à quelle époque précise elle a été découverte. Au XVe siècle une statue en pierre de Sainte Vierge fut miraculeusement trouvée dans les champs près de Chalons, où l'on a élevé, sous le titre de Notre-Dame de L'Epine, un sanctuaire qui est le lieu d'un pèlerinage très fréquenté. La tradition à Jonval, n'aurait-elle pas confondu?...»

Pour la seconde statue, l'auteur de la monographie apporte les précisions suivantes :

«... La famille Massart, aujourd'hui éteinte à Jonval, conservait depuis la Révolution une statue de Notre-Dame, en chêne, haute de 1m,09. La Sainte Vierge, debout, porte sur le bras gauche l'Enfant Jésus, qui bénit de la droite et tient de la main gauche le globe du monde. D'où provient cette statue? Les uns disent de l'église de Tourteron, les autres de celle de Jonval. Je l'ai rendue à l'église de Jonval, à laquelle, selon moi, elle doit avoir appartenu ; l'église de Jonval ayant pour patronne Notre-Dame (de la Nativité), elle devait avoir sa statue ; or on ne lui connait que celle-ci ou celle dont il est parlé ci-dessus. M. Voisin possédait également une statuette de 0 m,125, grossièrement taillée dans la craie, qu'il avait trouvée en creusant le sol de la carrière du chemin de Chagny. Est-ce une statuette religieuse ou une divinité païenne? est-elle récente ou très antique? Il serait difficile de le dire.»

Il ne semble plus y avoir de trace aujourd'hui de cette statuette taillée dans la craie.

A signaler qu'Albert Meyrac donnait une version un peu différente dans son autre ouvrage : Villes et villages des Ardennes - 1898, page 306

«Il y aura 200 ans bientôt, on trouvait, en fouillant le sol, au lieudit L'Epine, une statue grossièrement taillée dans le bois, qui représentait la Vierge allaitant l'enfant Jésus. On l'appela, parce qu'elle fut découverte en cet endroit Notre-Dame de l'Epine. En hâte «ceux de Tourteron» accoururent avec force chariots solidement attelés, pour prendre la statue ; mais ils ne purent la soulever tant elle était lourde. Ce qu'ayant appris, le curé de Jonval vint la chercher «respectueusement, processionnellement» ; aussi se laissa-t-elle enlever et placer dans l'ancienne église. Les habitants de Jonval ayant ensuite demandé qu'elle fut mise dans l'église nouvelle, le curé ne voulut point d'abord, puis il n'osa résister, tant fut grande l'indignation. Il la fit peindre, car il la trouvait défraichie, inconvenante, lui mit dans la main un bouquet et la jucha au-dessus de l'autel à six mètres de haut.»

 

La chaire à prêcher offre un modèle intéressant dans le style néo-gothique. Comme à son habitude l'ébéniste Aubry présente ici un travail soigné avec une sculpture fouillée.

L'abat-voix conçu comme un dais, s'étage sur trois niveaux avec, à la base, une large couronne ajourée de remplages et de pinacles. L'intrados est divisé en six caissons triangulaires parés de motifs végétaux taillés en réserve. Au centre, pas de traditionnelle colombe du Saint-Esprit, mais une couronne ouvragée disposée en pendentif. Sur le pourtour hexagonal court une corniche festonnée.

Le dosseret est ajouré de quadrilobe et de lancettes.

Aux angles de la cuve hexagonale se dressent des colonnettes avec chapiteaux à motifs. Chaque panneau présente un des quatre évangélistes sculptés en bas relief dans l'embrasure d'une lancette aveugle. Les évangélistes sont debout tenant en mains le livre de leur Évangile respectif. Chaque personnage est placé sur une console dont la face externe reproduit leur attribut caractéristique. Ils ont été bûchés tous les quatre, ce qui rend l'identification des personnages malaisée.

 

Les fonts baptismaux en pierre peinte possèdent une cuve évasée de forme hexagonale avec un couvercle en bois et un support-colonne dont le pied est le pendant inversé de la couronne de la cuve.

Le confessionnal a été réalisé par M. Doche de Guincourt.

 

Les vitraux



Le vitrail de la rose occidentale représente Dieu le Père en buste. Personnage à la longue barbe blanche, nimbé de l'auréole - deux attributs qui caractérisent sa sagesse absolue et sa sainteté - le Créateur de toutes choses élève ses mains ouvertes et compatissantes. Il est assis sur une nuée symbolisant le trône céleste. Dans les lobes de la rose, des chérubins l'entourent et veillent sur Lui dans leur rôle de gardiens des cieux.

Comme ceux des bas-côtés, les vitraux des oculi et des baies des parties hautes des bras du transept, s'ornent de motifs géométriques colorés tirés de la flore. Quant aux roses lobées de la nef, elles alignent des sujets eucharistiques ou christiques dans un disque central bordé de motifs végétaux où les pampres de vigne occupent une place récurrente.

Les signes eucharistiques se révèlent au travers du calice, de l'ostensoir, ceux évoquant le Christ au travers de l'alpha et de l'oméga ou du monogramme IHS...

Les vitraux historiés retiennent davantage l'attention.

Ce sont tout d'abord les personnages saints visibles aux baies du transept. Ils sont représentés debout, auréolés, accompagnés de leur attribut, ce qui permet de les identifier. Toutefois le maître verrier a indiqué leur nom dans un cartouche.

D'un côté, de gauche à droite, figurent saint Dominique, sainte Thérèse, saint Bernard, et saint Antoine, tous issus du monde monastique.

De l'autre côté, saint Éloi, saint Nicolas, saint François de Salles, saint Remy, tous évêques connus pour leur mission d'évangélisateurs.

A droite du maître-autel (côté sud) un médaillon reproduit la scène de la Fuite en Egypte. Marie, assise en amazone, l'Enfant Jésus dans son giron, monte à cru un âne, que conduit par la bride, Joseph marchant à leurs côtés.

 

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Derrière le maître-autel, trois scènes évangéliques, moins communes que la précédente, racontent des épisodes de l'Évangile de Jean. Elles remplissent chacune, dans un médaillon, le centre de deux lancettes jumelées, séparées par une colonne engagée dans un pilier.

1 - La résurrection de Lazare:

Le Christ surmonté de son auréole crucifère, vêtu d'un manteau bleu, s'avance vers Lazare mort. Cela dit il s'écria d'une voix forte : «Lazare, viens ici, dehors!» (Jn 11, 43)

Le mort sortit, les pieds et les mains liés de bandelettes, et son visage était enveloppé d'un suaire. Jésus leur dit : «Déliez-le et laissez-le aller» (Jn 11, 43)

 

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Au bas des personnages, l'inscription : LAZARE VENI FORAS (Lazare viens ici dehors)

 

2- La femme adultère

Les scribes et les pharisiens amènent à Jésus une femme surprise en adultère et tentent de le piéger pour qu'il accuse cette femme.

Mais Jésus s'étant courbé, écrivait du doigt sur le sol (Jn 8, 6)... Et se penchant de nouveau, il écrivait sur le sol. A ces mots, ils se retirèrent un par un jusqu'au dernier, à commencer par les plus âgés, de sorte que Jésus resta seul avec la femme devant lui. Alors il se redressa, et ne voyant plus que la femme, il lui dit : «Femme, où sont-ils? Personne ne t'a condamnée?» Elle répondit : «Personne, Seigneur.» Et Jésus lui dit : «Moi non plus, je ne te condamne pas. Va, et désormais ne pèche plus.» (Jn 8, 8 à 11)

 

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L'inscription au bas de la scène : VADE ET AMPLIUS IAM NOLI PECCARE ( Va et ne pèche plus)

( Quœ dixit nemo Domine dixit autem Jesus nec ego te comdemnabo, vade et amplius iam noli peccare)

 

3- Les noces de Cana

A gauche : Jésus le visage dans une auréole crucifère que lui seul porte et  à ses côtés Marie également auréolée ; à droite : les disciples et les invités.

 

 Deux jours après, on célébrait des noces à Cana, en Galilée. La mère de Jésus y était ; et Jésus fut également invité avec ses disciples. Le vin manqua. La mère de Jésus lui dit : «Ils n'ont plus de vin.» Jésus lui répondit : «Femme, en quoi cela nous concerne-t-il? Mon heure n'est pas encore venue.»... (Jn 2, 1 à 4)

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L'inscription : DICIT MATER JESU AD EUM : VINUM NON HABENT (La mère de Jésus lui dit : ils n'ont plus de vin)

Les vitraux portent la signature du maître-verrier Louis-Victor Gesta.

 

Louis-Victor Gesta

Né à Toulouse le 26 septembre 1828, mort en ce lieu le 6 septembre 1894, Louis-Victor Gesta fut le fondateur de la manufacture de vitraux GESTA qui décora plus de 8000 églises. Les bâtiments de la manufacture existent toujours au château des Verrières à Toulouse, ils sont en cours de rénovation.

Victor-Louis Fabre est un enfant naturel. Il prend le nom, en 1835, du fondateur de caractères, Monsieur GESTA, lorsque sa mère épouse le riche industriel.

Il suit les cours de l'Ecole des Beaux Arts de Toulouse puis étudie à l'Ecole Centrale des Arts et Manufactures de Paris.

Il se forme auprès du peintre Ernest Lami de Nozan (1801 - 1877) qui s'intéresse à la peinture sur verre et qui occupe aussi le poste de directeur du télégraphe optique Chappe à Toulouse. C'est lui qui l'introduira dans l'art du vitrail, un procédé que dénoncera Viollet-le-Duc.

Louis-Victor se perfectionne auprès du maitre-verrier Artigue, puis s'établit à son compte. Il devient administrateur et rédacteur de la revue "L'Archéologie Populaire'".

Il cessera ses activités en 1890 en proie à des difficultés financières.

La période de 1830 à 1860 connait un renouveau religieux qui est à l'origine des reconstructions d'églises ou simplement de leur embellissement. Elle génère une forte croissance d'activité chez les peintres-verriers. Pour s'adapter à cette forte demande, plusieurs ateliers décident de modifier leur production en la standardisant, c'est-à-dire en recourant à un système usinier. Parmi eux figurent de grands ateliers comme : Maréchal et Champigneulle, d'abord à Metz puis à Bar-le-Duc, Lorin à Chartres et à Paris, Bazin au Mesnil-Saint-Firmin et Gesta à Toulouse. Ils emploient une main d'œuvre nombreuse (120 employés chez Charles Champigneulle à Bar-le-Duc, 53 chez Lorin, 60 chez Bazin etc...) leur production s'exporte dans toute l'Europe.

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La signature du maître-verrier à Jonval

Toujours derrière le maître-autel , au niveau supérieur de la fausse galerie, les baies cintrées sont aussi pourvues de vitraux historiés.

Trois personnages auréolés sont assis sur une cathèdre : au centre les mains jointes en prière, la Vierge Marie patronne du lieu ; à sa droite se tient saint Pierre avec ses clés, et à sa gauche saint Jean porteur du calice. Si l'auréole identifie leur sainteté, la flamme qui la surmonte témoigne de la transfiguration de leur âme qui a quitté le corps devenant une lumière spirituelle pour l'éternité.

Au-dessus dans l'oculus est représentée la scène du Couronnement de la Vierge. Jésus pose la couronne sur la tête de Marie en présence de Dieu et du Saint Esprit figurés respectivement par l'auréole rayonnante et la colombe. La couronne est symbole des noces. Marie est la "Femme de l'Alliance". Son couronnement au ciel exprime que ses noces avec Dieu ont été parfaites.

L'oculus voisin est également dédié à la Vierge. Couronnée, le sceptre en mains, Marie est assise sur un trône, celui de Salomon. En sa qualité de descendante de David, Elle est comme le Christ son Fils, héritière et reine. Elle est Sedes Sapientiæ, Trône de Sagesse, entourée d'anges adorateurs gardiens du ciel.

Les six autres personnages auréolés des deux baies inférieures voisines semblent représenter des apôtres.

JLC

 

(1) Bruge-Lemaître (1823 - 1901) historien d'Attigny a reçu un bel hommage de la part de Philippe Duplayé dans son volumineux ouvrage "La vie à Attigny de 1789 à 1914" édité en 2014.L'auteur lui consacre 10 pages de son livre et reproduit l'intégralité de la poésie "Je suis le clocher de Jonval !" Il y ajoute les dessins de l'historien qui ont été réunis dans un album portant le titre : Types disparus. P. Duplayé rapporte également la biographie de l'abbé Haizeaux établie par le docteur Guelliot en 1914.

(2) Monographie de Jonval par l'abbé Léon Alexandre - 1899 consultée à la Bibliothèque Carnegie de Reims sous référence CHBM 2773. Les informations reproduites ci-dessus sont empruntées à cet ouvrage.

(3) Bulletin du Diocèse de Reims. Année 1872 Page 45 : biographie de l'abbé Stevenin

(4) Géographie Illustrée des Ardennes. Albert Meyrac. Librairie Guénégaud. Réédition 1965. pages 727 - 728.

J'adresse mes vifs remerciements au maire de Jonval qui, à plusieurs reprises, a bien voulu m'ouvrir les portes de l'église.



07/03/2015
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