L'insolite de l'art chrétien : églises de Champagne-Ardenne

L'insolite de l'art chrétien : églises de Champagne-Ardenne

CONDE-LES-VOUZIERS : un vitrail inspiré par Rubens ?

Un pays de confluence

Les Condéennes et les Condéens le savent, leur pays est un lieu de convergence... de cours d'eau, s'entend !

Le ruisseau de l'Etang, celui de la Fournelle, celui du Moulin de Condé alimenté par la Muette qui prend sa source aux pieds des monts de Tourcelles-Chaumont, tous confluent vers l'Aisne, à deux enjambées du village. Jadis, il portait le nom de Condé-sur-Aisne, puis, à la Révolution, des revanchards, plus historiens que géographes, ont cru que le Grand Condé était passé là en y laissant son nom, ils décidèrent d'effacer son souvenir en rebaptisant le village du nom de Vieux-Pont... est-ce une inspiration de toponymie puisée au proche village de Voncq qui possède ce lieudit ?

 

 

Une église normée

 Une église, bien dans le style néo-gothique comme les aimait Viollet-le-Duc, a été rebâtie selon les plans de l'architecte Jean-Baptiste Couty de Sedan (1821 - 1894) ; il a été l'auteur, on le sait, de plusieurs édifices religieux dans la contrée argonnaise. Ses plans sont conformes aux modèles préconisés par l'École Diocésaine, dont l'architecte Anatole de Baudot livre des exemples dans ses Eglises de bourgs et de villages.

La physionomie de l'église Saint-Rémi de Condé-les-Vouziers est quasi le "copié/collé" de celles de Chantelle, de Saint-Remy-en-Rollat ou de Varennes dans l'Allier. Ces trois édifices sortent des cartons d'Anatole de Baudot, comme tant d'autres.

Sur ce sujet, on lira avec intérêt l'ouvrage de C. Bouchon,C. Brissac N.-J. Chaline, J.M. Leniaud : “Ces églises du Dix-Neuvième Siècle” - Editions Encrage Le Courrier Picard

 

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L'église Saint-Rémi de Condé-les-Vouziers

 

Malheureusement l'église, belle réalisation de J.B. Couty, subit des dommages lors de la Guerre 1914/18, ce qui nécessite sa restauration.

La nef unique est éclairée par de grandes verrières, elles méritent examen.

 

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Une nef unique abondamment éclairée et récemment repeinte

 

L'atelier De Troeyer de Reims

Les vitraux réalisés dans les années 1930 sortent de l'atelier De Troeyer de Reims,ouvert en 1920 par Léopold.

M. Léopold Alphonse De Troeyer, né à Bruxelles en 1861, décédé à Reims le 28 août 1930 (le caveau familial est au cimetière de l'Avenue de Laon à Reims), avait épousé une belge qui lui donna trois filles. Les premiers vitraux connus qui portent sa signature ( L. De Troeyer et Melles ) sont datés de 1927, ils sont visibles dans l'église de Montcheutin (08). En 1929 sa signature avec celle de ses filles apparait encore sur les vitraux de l'église de Bertoncourt

 Après son décès, son épouse reprend l'affaire à son compte avec deux de ses filles, Berthe et Marie. Les verrières portent désormais la signature "Mme Vve et Mesdemoiselles De Troeyer". Les revues de l'époque, notamment le bulletin du Diocèse de Reims, contiennent des publicités dans lesquelles on lit par exemple :

Vitraux d'art pour églises

Réparations et transformations de vitraux anciens et modernes

Prix très modérés

Madame et Mesdemoiselles De TROEYER

58, Rue Belin, 58

Près de l'église Saint-Benoît - REIMS

L'atelier déménage rue d'Anjou à proximité de la cathédrale.

Puis, plus tard, à la mort de la mère, en 1955, les deux sœurs s'installeront à Sedan, dans un appartement de la ZUP, près de leur autre sœur, gouvernante du curé de la paroisse du Fond de Givonne, pour laquelle elles réalisent des vitraux. Les deux sœurs avaient postulé pour exécuter ceux de la basilique Notre-Dame de l'Espérance de Mézières, mais la réalisation sera finalement confiée à l'artiste Dürbach, ami de Picasso.

En 1980, l'actuel maître verrier rémois Bruno Pigeon, a rencontré l'une des sœurs dans le quartier Orgeval de Reims, cette anecdote constituant l'ultime trace de la saga des maîtres verriers De Troeyer.

Maurice Jonot de Thil (51) dans un document dactylographié (dont plusieurs informations citées ci-dessus émanent) s'est efforcé de dresser une liste  (non exhaustive) des églises possédant des vitraux de l'atelier De Troeyer, il a noté :

- pour les Ardennes :

Charleville-Mézières église Saint-Rémi; Thilay 1976 ; Sécheval 1961 ; Sedan 1993 ; Wadelincourt ; Linchamps 1939 ; Amagne 1939 ; Neuville-Daÿ 1960 ; Novion-Porcien 1931 ; Ecordal 1930 ; Bertoncourt 1929 ; Apremont 1946 ; Saint-Loup-en-Champagne 1960 ; Vieux-les-Asfeld ; Exermont 1947 ; Cornay 1938 ; Montcheutin 1927 ; Perthes, Boulzicourt 1948...

- pour la Marne :

Reims les églises de Sainte-Clothilde, Saint-Benoit, Saint-Thomas ; Warmeriville 1935-36 ; Vaudésincourt ; Villers-Franqueux ; Loivre ; Thil 1935-36 ; Chenay ; Sillery ; Prunay ; Champfleury ; Prosnes ; Aigny restauration 1924 ...

 

voir ici : DE TROEYER un atelier rémois de maîtres-verriers

 

Une iconographie surtout dédiée à Marie

Le vitrail axial du chœur figure la scène de la Crucifixion, avec, au pied de la croix, trois personnages habituellement représentés : Marie éplorée, Madeleine reconnaissable à ses longs cheveux, saint Jean au visage jeune et à la chevelure abondante. Tous trois sont auréolés, car ce sont des personnages à la sainteté avérée.

 

Ici, le saint patron étant Rémi, un vitrail devait inévitablement le désigner. Les auteurs ont choisi de représenter le baptême de Clovis par l'évêque de Reims.

Au premier plan Clotilde, coiffée de la couronne royale, attire tous les regards, c'est bien elle l'actrice principale, initiatrice de la conversion de son époux ; lui, le torse dénudé, sitôt descendu les marches du baptistère s'apprête à recevoir le sacrement du baptême. La colombe, venant du Ciel, apporte dans son bec la sainte Ampoule à saint Remi qui reçoit la Grâce du Saint Esprit dans un rayonnement de lumière. Clovis a déposé armes et vêtements de parade pour enfiler une aube blanche, en signe de purification.

A sa suite, toute l'armée vient recevoir à son tour, l'onction du baptême qui se déroule bien à Reims comme le rappelle l'image de la cathédrale en arrière plan.

Un autre vitrail daté de 1939 illustre l'Évangile de Luc au § 2, versets 41 - 52 lorsque Jésus est retrouvé, par ses parents, au milieu des docteurs de la Loi (fenêtre gauche de la nef)

Jésus est encore représenté, cette fois, lors de son apparition en juin 1675 à Marguerite-Marie Alacoque. Cet événement est à l'origine de la dévotion au Sacré Cœur. Dans sa rencontre mystique avec la visitandine le Christ lui aurait dit : «Voilà ce cœur qui a tant aimé les hommes... et pour reconnaissance je ne reçois de la plupart qu'ingratitude». Vitrail de 1930, don des paroissiens.

La Vierge Marie anime le registre des autres verrières.

D'abord avec Bernadette Soubirous, qui communique avec Elle à dix huit reprises du 11 février au 16 juillet 1858 aux abords de la grotte de Massabielle. La reine du Ciel se serait adressée à la jeune enfant de 14 ans dans son patois béarnais pour lui révéler : «Je suis l'Immaculée Conception»

Bernadette est à genoux les mains jointes, elle regarde et écoute la Vierge vêtue d'un manteau blanc immaculé qui laisse voir les pans de sa ceinture bleue nouée à la taille. Marie se tient debout à l'entrée de la grotte, à l'arrière plan la basilique Notre-Dame de Lourdes est déjà édifiée. Vitrail de 1930 offert par une famille du village.

 

Autre représentation mariale à découvrir sur un vitrail : l'Adoration des bergers, scène classique de la Nativité expliquée par ailleurs dans ce blog, n'y revenons pas.

 

Le vitrail de l'Assomption la Vierge apparait plus élaboré dans sa composition

 

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Vitrail de l'Assomption par Mme et Mlles De Troeyer  1931

 

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Le tableau de l'Assomption par Rubens. Musée de Bruxelles (photo du web)

 

 Le thème de l'Assomption connait un grand succès durant la Renaissance et à l'époque baroque. Les peintres en font un de leurs sujets favoris afin de répondre à une demande très forte de l'Église qui encourage ce culte nouveau qui finira par être proclamé dogme en 1950, par Pie XII.

Parmi les artistes peignant des toiles de l'Assomption figurent des maîtres tels que Laurent de La Hyre, Philippe de Champaigne et bien d'autres. L'un des plus célèbres, Peter Paul Rubens (1577 - 1640) incarne vite le style pictural de la Contre-Réforme. Avec ses collaborateurs, dans son atelier d'Anvers, il  produit de nombreuses œuvres.

Un tableau de l'Assomption peint par le maître anversois vers 1620 est conservé à Vienne au Kunsthistorisches Museum, un autre, terminé en 1626, rejoint une chapelle de la cathédrale Notre-Dame d'Anvers. Le même sujet figure encore sur une toile de 1637 conservée au Liechtenstein Museum de Vienne, la ville aux 100 musées.

 Le modèle, que choisit l'atelier De Troeyer pour réaliser son vitrail à l'église de Condé, a toutes les chances d'être le tableau de Rubens désormais conservé aux Musées Royaux des Beaux Arts de Belgique à Bruxelles, tant la ressemblance dans la composition est frappante :

- même chorale d'anges qui emporte la Vierge vers le Ciel, dans un rayonnement de lumière vive 

- disposition des apôtres réunis autour de la tombe avec saint Pierre barbu les bras levés traduisant sa crainte

- même positionnement de la femme, à gauche venue recueillir le bouquet de roses qui s'échappe du linceul

- même mouvement d'enroulement du voile flottant autour de la tête de Marie au regard dirigé vers le Ciel.

A l'origine le tableau de Rubens est destiné à l'église des Carmes déchaussés de Bruxelles, mais en 1695, les armées de Louis XIV versent un déluge de feu sur la ville et pillent les sanctuaires. Le tableau, volé, part pour la France, il ne sera restitué à son pays qu'en 1815.

Depuis la création de l'Ordre, les Carmes ont fait de la Vierge Marie leur patronne. Les premiers ermites, sur les traces du prophète Élie, se font d'ailleurs appeler : "Frères de la Bienheureuse Vierge Marie du Mont Carmel".

Un nouveau couvent des Carmes de Bruxelles voit le jour en 1611, son église sera consacrée le 15 octobre 1614 ; on peut donc penser que Rubens a achevé le tableau de l'Assomption pour la bénédiction d'ouverture au culte. L'œuvre d'abord peinte sur bois, car destinée à habiller le retable de l'autel d'une chapelle, sera transposée par la suite sur toile.

Malheureusement le passage des sœurs De Troeyer et  de leur mère aux Musées de Bruxelles n'a pas laissé de trace écrite ; leur inspiration venue de la contemplation du tableau de Rubens demeure une pure hypothèse.

JLC

 

 

 

 

 

 

 



11/07/2014
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