L'insolite de l'art chrétien : églises de Champagne-Ardenne

L'insolite de l'art chrétien : églises de Champagne-Ardenne

TAGNON : sa foisonnante église Saint-Pierre

Une église "fort intéressante"

 

Tagnon : "église fort intéressante" annonce laconiquement le journaliste historien A. Meyrac (1) que tout curieux, passionné d'histoire locale ardennaise, consulte prioritairement en guise de hors d'œuvre, avant de goûter aux mets plus indigestes farcis de vieux français ou de bas latin servis à la table des Archives Départementales.

 

Pour rejoindre cette auberge, à l'enseigne de la mémoire épistolaire, installée au cœur du chef-lieu, le curieux gourmet, s'il vient d'une contrée méridionale, doit emprunter l'axe routier principal qui, de Reims le propulse à Charleville-Mézières et que tout GPS déroule sous le nom de code : A34.

Alors que la voiture s'approche de la localité de Tagnon, le beau clocher ardoisé de l'église Saint-Pierre apparait sur sa droite, mais le cordon routier, rectiligne jusqu'alors, s'infléchit tout à coup inexorablement vers la gauche, cachant aux regards les plus beaux atours de l'édifice.

Il faut donc anticiper, désactiver le limitateur de vitesse, s'engager sur la vieille route N51 qui traverse Tagnon.

A l'approche de l'église le visiteur venu se rassasier de belles découvertes est déjà sous le charme.

Tant pis pour l'auberge carolomacérienne, il faudra ôter un couvert aujourd'hui! L'église mérite un superlatif bien au-delà du qualificatif de "fort intéressante" suggéré par l'historien ardennais.

 

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L'église Saint-Pierre de Tagnon : photo José Valente de Pinho sur sa page facebook

Quelques notes d'histoire

L'habitude, dans les pages de ce blog, est de planter quelques jalons historiques pour mieux comprendre l'étude de la bâtisse .

Respect, donc, à la tradition !.

L'abbé Charles Hippolyte Vielet, curé du lieu jusqu'en 1902, écrivait fièrement dans une notice descriptive que "l'église de Tagnon est le monument le plus ancien de la commune" et "que son plan figure une croix latine"; deux affirmations qui ne renseignent guère le visiteur, car la plupart des églises cumule ce privilège. Quand il ajoute que la croix est à double traverse (il écrit "transept"), son commentaire s'enrichit d'un coup : voilà un plan qui annonce mieux que le schéma classique d'une simple église rurale.

 

De la construction primitive, que plusieurs éléments situent au XIIIe siècle, seule l'abside reste intacte. Il subsiste, à l'intérieur, des piliers avec leur chapiteau de la même époque. Un édifice plus ancien a dû exister sur le lieu (?), il n'en reste aucune trace. On sait simplement qu'une communauté y vivait puisque des écrits datés de 1097 la signalent.

 

La vie va vite s'organiser dans le bourg.

En 1246, le comte de Rethel Manassès accorde une charte aux habitants qualifiée de "passablement libérale" par Henri Manceau! (2). Cette charte calquée sur le modèle de la loi de Beaumont comporte encore de nombreux devoirs et obligations à la charge des "hommes de Tanion" ainsi que des redevances variées qu'ils doivent payer au comte "chacun an à la saint Martin" (3). La précieuse référence, appelée à juste titre trésor des chartes, énumère les différentes orthographes employées pour désigner la localité au fil des années : Taniis - Tanio - Tanion - Tanium - Tannio - Tanyon - Tennion etc...

Tagnon est déjà cité 70 ans auparavant sous le forme latine Taniio dans le document de cession de l'église Saint-Pierre de Mézières que fait le comte Manassès à l'archevêque de Reims Guillaume de Champagne, surnommé Guillaume aux Blanches Mains (1135 - 1202). Il est l'instigateur de la fameuse loi de Beaumont évoquée plus haut et reprise dans de nombreuses localités assoiffées de liberté.

 

L'église

L'église, dont le matériau de construction se compose en grande partie de craie, - elle couvre 1220 ha du terroir communal - est mentionnée pour la première fois dans le "rôle de taxes imposées sur les particuliers pour détention de fiefs relevant du Comté". Le document porte la date du 8 novembre 1397. En vérité, ce rôle liste les gens d'église devenus détenteurs de biens fonciers non déclarés, les obligeant à payer une taxe au comte, à l'image du redressement fiscal actuel.

Plus tard les chanoines de l'abbaye augustine Saint-Denis de Reims nommeront à la cure et taxeront d'impôts, eux aussi, les habitants.

 

L'essentiel de l'architecture date du XVe siècle, époque au cours de laquelle l'église a été rebâtie tout en conservant des éléments antérieurs du XIIIe siècle. Vétusté et agrandissement en sont à l'origine.

Au XVe siècle, le village voisin du Chatelet détient une léproserie importante ; elle est placée sous le vocable de chapelle Sainte-Marie-Madeleine. Des immeubles de ladite léproserie sont construits sur le territoire de Tagnon, mais à bonne distance des habitations : contagion oblige! Les liens sont étroits entre les deux communes, car, jadis, le comte de Rethel était seigneur du Chatelet et de Tagnon.

Les cures des deux localités ont été réunies à deux reprises à la suite des désastres causés au Chatelet par les guerres de religion.

Epidémies et autres fléaux suscitent la piété du peuple, les fidèles sont de plus en plus nombreux à pratiquer.

La belle église flamboyante brûle (sans jeu de mots) par accident en 1621; les guerres de la Fronde ravagent ensuite le pays de 1648 à 1653. Les hostilités franco-espagnoles perdurent : en 1656 les Tagnonnais sont contraints de se réfugier dans la place forte de Rethel pour y trouver protection.

Au cours du conflit les habitants sont malmenés, toutefois l'histoire ne dit pas que l'église eut à en souffrir. Le bâtiment avait bénéficié d'une complète restauration au XVIe siècle avant l'incendie dévastateur. A cette occasion le transept avait été doté de fenêtres flamboyantes. A l'extérieur, au nord, les contreforts à gargouilles ont bien résisté au feu et aux guerres suivantes, ils datent de la reconstruction du XVe siècle.

On doit au curé Jean Vincent GENET la construction des voûtes du sanctuaire et du transept ainsi que l'installation de 3 cloches entre 1852 et 1859.

 

L'extérieur de l'église

Le clocher, élément qui attire le regard du plus loin où porte la vue, est de section carrée. Les quatre faces de sa base sont percées de baies doubles accusant le plein cintre dans leur partie sommitale.

Le demi-cercle comme la demi-sphère évoquent le monde céleste des hauteurs qu'ils symbolisent généralement. Les fenêtres, dotées d'abat-sons, sont surmontées, sur tous les côtés, d'un cadran d'horloge sorti de l'atelier Bernard de Vouziers.

La notice mise à la disposition des visiteurs à l'entrée de l'église précise que "l'ancienne horloge, remisée dans les combles du clocher fut donnée, autrefois, au musée régional de Rethel" .

La tour du clocher aux parois recouvertes d'ardoise, s'abrite sous un toit pyramidal pointu, lui-même coiffé d'une flèche octogonale que couronne un lanternon ajouré.

 

L'histoire des clochers est fascinante de par la variété de leur forme qui se décline à l'infini. Rares sont les clochers façonnés à l'identique.

A toutes les époques ils ont inspiré les poètes. Alfred de Musset dans sa ballade à la lune se laisse séduire par l'image de sa vision :

«C'était dans le nuit brune

 Sur le clocher jauni

 La lune

 Comme un point sur un i »

Christophe Lefébure dans le bel ouvrage (4) qu'il dédie aux clochers affirme qu'ils existent "dès le VIe siècle sous la forme de simples cages de bois mais qu'il faut attendre l'époque carolingienne pour que soient construites de vraies élévations de pierre".

Celui de Tagnon a été fortement restauré en 1865 puisque quatre ans plus tard un observateur s'émerveille que l'église "a enfin un clocher plus digne d'elle". C'est toujours sa silhouette élancée, sur son assise invincible aux épreuves du temps, que l'on admire aujourd'hui.

Le dessinateur ardennais Roger Hourriez n'en a pas identifié de semblable dans sa traque des plus beaux clochers des Ardennes (5).

 

Au levant, le chevet s'organise selon un plan pentagonal ; chacun de ses murs est percé d'une fenêtre plein cintre qu'encadrent de solides contreforts ; ceux-ci montent jusqu'à la corniche du toit ; coiffés d'une couverture en bâtière, ils dressent leur talus à ressauts qu'un glacis pentu protège des eaux pluviales ; la racine du glacis prend naissance directement dans la maçonnerie de la muraille.

 

L'élément qui attire davantage l'œil du visiteur réside dans le décor des chapiteaux des fines colonnettes cantonnant les fenêtres. Des figures humaines dévisagent le passant avec une fixité dans le regard qui suscite l'effroi ou pour le moins l'étonnement.

Quel est le message qu'a bien pu vouloir transmettre à la postérité le sculpteur en dotant ses masques de pierre d'un regard si glacial?

 

 

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Un regard glacial adressé aux passants

 

En suivant l'astre solaire dans sa course diurne, l'examen de la face méridionale de l'édifice s'impose maintenant.

 

Les deux transepts annoncés par l'abbé Vielet offrent à la lumière entrante de larges baies cintrées, "rayonnantes déjà presque flamboyantes" se risque à écrire Maurice Hollande en 1959 (6). Flamboyantes, elles le sont par l'architecture de leur remplage qui associe quadrilobes inscrits dans un cercle, mouchettes et soufflets, le tout reposant sur de fines colonnettes avec une seule fonction : augmenter le plus possible l'éclairement intérieur. Une prouesse facilitée par les lancettes situées juste en dessous.

Par contre les contreforts, qui épaulent et séparent les fenêtres, sont massifs ; à défaut d'élégance, ils revendiquent seulement un devoir d'efficacité,...  ce qu'ils assurent pleinement! .

 

A l'avant de cet ensemble plutôt imposant, la nef du XVe siècle laisse voir une série de fenêtres hautes et se flanque de bas-côtés plus étroits.

A ces fenêtres, correspondent les quatre travées intérieures du vaisseau. La toiture en bâtière, couverte d'ardoise, est séparée des murs porteurs par une suite de corbeaux qui, à l'image des modillons, accrochent la lumière et égayent la nudité des murs.

La numérotation des travées se conçoit toujours d'ouest en est. La travée qualifiée de première est précisément celle qui se situe aussitôt le franchissement du portail occidental.

 

L'église de Tagnon présente la particularité de disposer de chapelles de part et d'autre de la quatrième travée (soit à son nord et à son sud). Proches du chœur, les deux suivantes (travées 5 et 6) sont flanquées d'un élargissement des bas-côtés qui forme saillie vue depuis l'extérieur et dont les murs s'alignent, en continuité, sur ceux des transepts. A l'intérieur, les piles de la cinquième travée s'ornent de chapiteaux à crochets typiques du XIIIe siècle, témoins du premier édifice connu.

La face méridionale du bas-côté comporte une ouverture : c'est la porte d'entrée usuelle des fidèles. Au-dessus, l'archivolte épouse la forme d'un arc trilobé, les tores de ses voussures sont disposés en retrait.

 

La façade occidentale embrasée par le soleil couchant a été complètement refaite en 1859. Elle a bénéficié d'un matériau de construction jugée plus noble et plus appropriée : la pierre de taille.

Deux tourelles coiffées de poivrières à la mode poitevine se dressent de chaque côté de l'entrée. En marge, au sommet des contreforts qui renforcent leur assise, deux grandes statues d'apôtres scrutent l'horizon et assistent au coucher du soleil. La pierre est malheureusement mutilée pour procéder à une identification certaine des saints qu'elle personnifie. On aimerait retrouver les deux clés qui désignent à coup sûr saint Pierre.

Les deux derniers étages des tourelles, sur toute la surface de leur pourtour, portent un motif d'arcatures aveugles dont la seule fonction apparente est purement ornementale. Pourtant la présence  d'un tel décor à l'entrée du sanctuaire est à rapprocher de celui qui orne le pourtour de nombreux baptistères romans. Bien que d'inspiration gothique (ici néo) le motif des arcatures véhicule, depuis toujours, l'idée de renaissance par le baptême. L'image apparait sur les sarcophages les plus anciens de la chrétienté.

La référence funéraire semble dictée par un passage des Epîtres de saint Paul ; l'apôtre est très présent dans l'église de Tagnon. Dans l'Epître aux Romains (VI ; 3-4) il est dit : "Vous avez été ensevelis avec lui par le baptême dans la mort afin que, comme le Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père, nous vivions, à notre tour, une vie nouvelle".

Comme les baptistères monumentaux élevés en dehors des églises, mais communiquant avec elles, les deux tourelles portent elles aussi, un message chrétien, une sorte d'invitation à embrasser le foi en Jésus pour prendre le chemin d'une vie nouvelle.

 

Plus évidente dans sa lecture, la scène sculptée au tympan du portail, illustre le chapitre 16 de l'Evangile de Matthieu (versets 18 et 19). Il s'agit d'un des plus célèbres passages du Nouveau Testament car il est fondateur de l'Eglise romaine. Jésus au milieu de ses disciples choisit Pierre pour lui remettre les clés du royaume des cieux. En observant la scène on notera que seulement onze apôtres entourent le Christ. Judas Iscariote, le traite, n'a pas été invité à la cérémonie !.

 

Le portail dévoile encore d'autres motifs sculptés intéressants. Celui des voussures est plutôt rare dans l'architecture du XIXe siècle. Cinq lignes brisées formant chevrons, sont disposés en zigzag. Un tel relief géométrique est courant dans le décor des portails romans. Dans la région, l'un est signalé dans le Laonnois, un autre dans la Marne (église de Pévy) ; il a même connu son heure de gloire à l'étranger en s'exportant jusqu'au Liban. Les voussures de l'église Saint-Jean-Marc de Jbail (Byblos) y montrent un motif en chevrons dans une disposition toutefois différente.

A Tagnon le cordon de pierre se compose d'une succession de prismes à section triangulaire mis bout à bout et disposés en zigzag.

A l'extérieur de l'archivolte un bandeau court le long de l'arc brisé. Des feuilles enroulées sur elles-mêmes épousent un mouvement hélicoïdal et se répartissent alternativement de manière opposée : une composition qui rappelle celles obtenues avec les feuilles d'acanthe très prisées des sculpteurs romans. Mais ici le motif évoque davantage la feuille de vigne qui étale ses cinq lobes et s'accompagne de grappes de raisin identifiées au bas du bandeau.

C'est encore un motif végétal stylisé qu'ont choisi les sculpteurs pour le décor des corbeilles des chapiteaux qui reçoivent la retombée des voussures. La base des tailloirs offre une magnifique série de crochets enroulés finement évidés.

 

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Le portail dédié à saint Pierre

 

Au-dessus du portail, une rose ajourée étale une corolle de huit soufflets disposés en étoile autour d'un quadrilobe.

On connait l'importance des nombres dans la symbolique de l'architecture des églises. Le 4 identifie souvent le monde terrestre : comme les quatre fleuves dans Genèse qui arrosent les quatre parties du monde (points cardinaux). Le 8 évoque la renaissance par le baptême, l'entrée dans une vie nouvelle : celle du chrétien. Sur une verrière, le 8 véhicule la notion de passage, d'ouverture, vers les voies célestes. Ici, la figuration du nombre 8 par la forme que revêt le soufflet étiré puis cintré dans sa partie médiane, ressemble ainsi au graphisme du chiffre. L'allusion au monde céleste est confirmée par l'inscription de cette composition dans le cercle de la rose. Le cercle, figure géométrique parfaite désigne le Ciel biblique.

Au-dessus, les consoles de support de la retombée des colonnettes de la fenêtre haute du pignon sont ambivalentes. Elles simulent l'éclosion d'un monde végétal dans lequel peut se lire celle d'une humanité, tant la disposition des feuilles dessine un visage avec ses deux yeux et sa bouche. Qui peut croire que l'auteur de la sculpture a donné cette forme par hasard?...

 

D'autres curiosités plus surprenantes attendent le visiteur à l'intérieur.

 

L'intérieur de l'église

La visite d'une église devrait toujours commencer par son entrée occidentale, même si l'accès se fait au sud, comme à Tagnon.

Car c'est de cet endroit que le regard embrasse au mieux la totalité de l'architecture du bâtiment.

Pour le fidèle pratiquant, c'est ici qu'il effectue le signe de croix en souvenir de la grâce reçue par le baptême. Jadis il se signait en trempant deux doigts dans l'eau bénite contenue dans le bénitier disposé à l'entrée, au bas de la nef.

 

"Tout de suite, le regard est attiré, ébloui par une décoration que l'on ne s'attendait pas à trouver dans une église aussi simple" prévient la notice mise à la disposition du public en reprenant un article signé par L. Béchet paru dans le cahier n° II du Rimbaldien sous le titre : «Le décor sculpté de l'église de Tagnon».

 

Dominant les piliers massifs de la nef, les colonnes engagées attirent  en effet tous les regards. Les décors de leur cul de lampe étonnent.

Certains ont été restaurés à l'évidence. Ce sont d'abord des visages humains. L'un esquisse un sourire malicieux ou de connivence, un second montre nez et oreilles couverts par un bandeau, le troisième arbore trois têtes en une seule : c'est l'image du trifron.

Plusieurs propositions ont été avancées pour en donner l'explication, voire justifier leur présence ici. Certains voient par exemple dans le trifron (ou masque tricéphal) une évocation de la Sainte Trinité. La suggestion doit être écartée. Une représentation du Père, du Fils et de l'Esprit-Saint n'a guère de raison de figurer au milieu de la nef, sa place est au maître-autel près des saintes Espèces.

La Trinité, surtout, n'a pas lieu d'exprimer des sons que la forme des trois bouches différentes suggère. Sans doute les partisans qui plaident en faveur de la Trinité ont-ils été inspirés par la couronne royale qui surmonte le trifron.

D'abord dotée de trèfles à trois feuilles (comme ici) la couronne royale ornée de fleurs de lys symbolise l'autorité du roi tout puissant. La tiare papale possède aussi trois niveaux de couronnes garnies de feuilles de trèfle dont le plus élevé symbolise le royaume de Dieu. Il semble que la représentation de la Sainte Trinité mérite plus de grâce ou de distinction que les visages grossiers observés à Tagnon.

Les trifrons sont assez répandus dans la sculpture champenoise. Le rémois Jacques Terrisse leur avait consacré un bel article paru dans les Travaux de l'Académie Nationale de Reims et repris dans le blog ci-après :

http://chapiteaux.free.fr/TROIS-TRIFFRONS_fichiers/TXT_TROIS-TRIFRONS.htm 

 

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Masque tricéphal de Tagnon

 

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Des exemples similaires ailleurs ; ici culots gothiques dans l'église Saint-Nicolas de Blasimon - Gironde (photo de la page F.B. de Mic Bois)

 

Les trois autres culs de lampe représentent : l'un, une composition végétale de feuilles trilobées, l'autre, un rapace tenant entre ses serres un volatile (?) tentant de s'échapper (le positionnement des pattes suggère le mouvement de la fuite), le troisième montre un personnage assis. Il porte une tunique longue couvrant ses jambes, sa main gauche repose sur le genou, la droite est levée et s'appuie sur la colonne derrière lui ; il est dans la position de l'atlante.

 

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L'aigle et sa  proie. Au-dessus l'inscription hébraïque

 

Elaborées à la mode du XVe siècle, puis revisitées par des restaurations, ces compositions vivantes ne semblent pas s'inscrire dans un programme iconographique bien défini. Elles paraissent vouloir dénoncer quelques travers humains ou railler les comportements des contemporains de cette époque.

D'autres personnages encore animent, plus loin, les corbeilles des chapiteaux.

L'un est debout, coiffé d'un bonnet, il cache son sexe de la main droite et s'appuie à la muraille de la gauche.

A ses côtés, une forme humanoïde vue de profil lève le bras droit dans sa direction, il porte un objet dans la main gauche (un document?).

De l'autre côté un personnage ailé (un ange?) est vêtu d'une longue robe. Il tient sa main gauche enfouie dans l'ouverture du vêtement et offre sa main droite tendue à un oiseau qui parait y venir picorer.

Ailleurs c'est un anguipède à la longue queue entrelacée à celle d'un monstre qui orne un chapiteau côté nord.

Plus loin un vieillard barbu est assis, la tête penchée vers l'avant, il la soutient de sa main droite, alors que de la gauche il s'accroche ou retient le membre d'un monstre difficilement identifiable, peut-être un volatile de type rapace ? (son nez aquilin fait penser au bec recourbé).

A la droite du personnage pensif (ou endormi?) un autre oiseau monstrueux veille, sa tête prend une forme humaine et porte une coiffe.

Risquons une explication que d'autres n'ont osé formuler : elle n'engage que son auteur!

La scène pourrait désigner le prophète Elie pendant sa retraite au désert près du Jourdain. Sa tête inclinée et soutenue par son poing droit traduit une attitude de méditation, de mélancolie. A ses côtés deux corbeaux l'accompagnent et lui assurent sa survie ; chaque jour, l'un lui apporte du pain et l'autre de la viande (1- Rois ; 17,6).

Le sujet est traité avec quelques similitudes sur une icône du début XVIIIe siècle conservée au Petit Palais à Paris et exposée en salle 36.

 

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Le prophète Elie lors de sa retraite dans le désert ?

 

 

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Icône du Petit Palais (vue partielle copiée du web)

 

Au XIIIe siècle Simon Stock s'inspire du prophète Elie pour partir au désert et y vivre en ermite. A son retour de Terre Sainte, il fonde l'Ordre du Carmel (voir :Vrizy : son Rosaire). L'expansion spectaculaire de celui-ci se déroule au XVe siècle ; l'Ordre connait alors un vif succès en Europe et en Champagne. Le rappel d'un épisode de la vie du prophète est peut-être en lien avec ce succès et de ce fait constitue un précieux jalon pour dater le chapiteau de Tagnon.

 

Sur un des piliers nord un personnage de profil, les deux bras tendus parallèlement, semble gratter les cordes d'un instrument. Les volutes évoquent la harpe. Est-ce David jouant de la harpe?

La sculpture de ce bas-relief semble de facture plus ancienne

 

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Le Roi David jouant de la harpe devant Saül ?  (A.T. : 1 Samuel 18; 10 et 19; 9.)

 

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Harpe ou lyre?

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Photo Web

 

 

Les intrados des arcades des travées sont renforcés par des arcs doubleaux reposant sur des demi-colonnes. La corbeille de leurs chapiteaux reçoit un décor varié. Le registre sculpté se diversifie, passant de la classique feuille d'acanthe à gros crochets, à une composition dans laquelle l'acanthe se termine par une tête humaine.

 

 

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Des têtes surgies de l'acanthe

 

Cette disposition fréquente dans l'art gothique a connu ses balbutiements dans la période romane avec de belles réussites comme sur ce chapiteau d'Autun.

 

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Chapiteau déposé de la cathédrale Saint-Lazare d'Autun (Saône-et-Loire) cliché Zodiaque - La Pierre-Qui-Vire

 

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ou dans l'église Saint-Nicolas de Blasimon - Gironde. (photo : page Facebook de Mic Bois)

 

Sur le chapiteau de Tagnon cinq têtes jaillissent de la base des feuilles, deux monstrueuses placées aux extrémités et trois plus réalistes au centre. Le personnage du milieu est mitré (un évêque?), ses deux voisins portent un chaperon, coiffe emblématique portée au XIVe et XVe siècles. Ces coiffes appartiennent à des personnes élevées dans les rangs de la société.

D'autres motifs s'ajoutent à la panoplie, mais leur interprétation s'avère délicate en raison de l'état dégradé des reliefs qu'une couche épaisse d'enduit empâte.

Les végétaux occupent une large surface sur les corbeilles des autres chapiteaux. La variété des espèces observables à Tagnon peut rivaliser avec le grand herbier de pierre qu'offre la cathédrale de Reims. L'esquisse probable d'un arbre de vie mérite d'être soulignée (?).

 

Le mobilier

L'église Saint-Pierre est dotée d'un mobilier d'époque plus récente.

 

Le Maître-autel

 

Il est en pierre. Sorti des ateliers de la maison Haussaire de Reims, l'autel a été béni en 1892 par Mgr Juillet, vicaire général (7). Le vicaire remplaçait le cardinal archevêque Benoit Langénieux empêché. L'archevêque, nommé à Reims en 1874 était le confident et l'ami du pape Léon XIII pour toutes les questions qui touchaient à l'Eglise de France.

Au cours de la cérémonie le vicaire a également procédé à la bénédiction de deux statues offertes par M. Ch. Peifer, un enfant du pays.

Elles représentent :

- sainte Anne enseignant les saintes écritures à la Vierge

- saint Joseph présentant l'Enfant Jésus au monde.

 

La scène sculptée au devant de l'autel situe Jésus dans l'épisode du dernier repas pris avec ses disciples avant la dramatique épreuve de la Passion.

La Cène rassemble donc les douze apôtres autour d'une table à Jérusalem. Selon un récit historique cette table est "rectangulaire et haute seulement de 50 centimètres. Elle est entourée de coussins sur lesquels Jésus et ses disciples peuvent s'étendre pour manger, selon la coutume de l'époque. C'est un bienfaiteur (qui) a généreusement loué une pièce à Jésus dans la ville basse. Elle se trouve au deuxième étage d'un bâtiment situé près du bassin de Siloé" (8).

Treize hommes entourent le Christ sur la sculpture en demi-relief de Tagnon. Ils sont tous barbus à l'exception de deux d'entre eux.

Le premier  est Jean apparaissant dans une attitude juvénile ; auréolé, il est assis à la gauche du maître qui domine l'assemblée. Saint Pierre est traditionnellement placé à droite.

Le second personnage imberbe, non auréolé, d'allure lui aussi juvénile, pourrait bien être Mathias. Il se tient debout à l'extrémité de la table (à droite de la scène pour l'observateur), il est le dernier appelé car c'est lui que Pierre choisira pour remplacer Judas après la trahison.

Judas Iscariote est précisément assis à l'extrême opposé de la scène afin que leurs regards ne se croisent pas. Le traite est en position assise car il fait encore partie du groupe, mais il est le seul à détourner le regard du centre de la table où s'effectue le geste le plus important : "Jésus prit du pain et, après avoir prononcé la bénédiction, il le rompit ; puis, le donnant aux disciples, il dit : «Prenez, mangez, ceci est mon corps»" Matthieu 26 ; 26.

 

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La Cène

 

Si l'auteur de la sculpture s'est permis quelques libertés avec la disposition des personnages telle que la rapportent les évangiles, il réalise une belle prouesse d'émotions dans la composition scénique. D'abord, il réussit à dégager une intense gravité par la solennité du geste qu'il donne au personnage central en lui réservant le point de mire de tous les regards.

La symétrie, qui n'est pas observée seulement dans la disposition des personnes autour de Jésus mais encore dans leurs attitudes et leurs gestes de prières (bras croisés ou mains jointes) et dans le décor même de la pièce (plis des tentures et des nappes de la table), confère au tableau une harmonie bien perceptible.

En second lieu, cette posture des disciples, alternativement assis et debout, crée une atmosphère pesante dans laquelle l'ordonnancement figé laisse pressentir l'arrivée d'une action tragique en guise de dénouement.

 

La lumière du soleil levant choisit certains jours pour sublimer la scène d'ordinaire plongée dans la pénombre. Elle pénètre alors à grandes brassées de rayons solaires traversant les hautes verrières parées de vitraux chatoyants.

Au centre l'image du Christ en Majesté est classique. Le prince juif apparait sous un visage juvénile avec sa barbe courte et ses longs cheveux.

Il est vêtu d'une lourde robe plissée et porte autour de la tête le nimbe circulaire inventé par les artistes grecs pour signifier sa divinité. Le nimbe est frappé de la croix, privilège exclusif réservé au Christ. Il trône dans une mandorle, symbole de sa nature divine. Sa main droite est levée dans le geste de la bénédiction et sa gauche s'appuie sur le Livre des Ecritures.

 

Les deux verrières voisines sortent du même atelier rémois : celui du maître-verrier Haussaire. Le programme iconographique y est plus riche avec trois niveaux de lecture par fenêtre.

A gauche, Marie dans son évocation de l'Immaculée Conception foule à ses pieds le croissant de lune. Au niveau inférieur le pape Pie IX annonce la bulle Ineffabilis Deus qui fonde le dogme du statut de la Mère de Dieu validé par le décret du 8 décembre 1854.

A droite, Joseph brandit la branche de lys ; dans le cartouche inférieur il s'applique à enseigner le métier de menuisier à Jésus, tandis qu'à leurs côtés, la Vierge Marie tourne la quenouille, une tâche que la Bible réserve aux femmes.

 

La description de l'environnement du maître-autel serait incomplète si elle ne mentionnait pas :

- les deux hautes statues des anges thuriféraires identifiés par l'encensoir, leur attribut habituel

- la piscine liturgique incrustée dans la muraille côté droit

- les restes de peinture murale ou de badigeon qui évoquent des draperies et des tentures. L'une d'elles en forme de chasuble décore le mur où une console a reçu la statue du Bon Pasteur.

 

Les autels secondaires

 

 

L'autel du transept septentrional est dédié à la Vierge.

Le meuble en pierre de style néo-gothique est dominé par une statue de la Vierge couronnée portant l'Enfant Jésus qui bénit. De part et d'autre deux statues représentent:

- à gauche : sainte Anne instruisant Marie enfant

- à droite : saint Joseph présentant Jésus.

Le devant d'autel présente la scène de la Dormition, - mort terrestre de la Vierge -, dans laquelle saint Pierre nimbé donne la communion et se prépare à organiser les obsèques. Tous les apôtres entourent le lit mortuaire .

 

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Scène de la Dormition

 

Deux scènes de la vie de Marie illustrent les panneaux du retable. Elles sont inspirées des évangiles apocryphes. A gauche, figurent les épousailles de Marie et Joseph, encore appelées Mariage mystique ; à droite, Marie enfant, est présentée au Temple.

Les verrières se parent de personnages bibliques. Dans les quadrilobes supérieurs apparaissent les bustes de :

- Dieu le Père tenant le globe terrestre et bénissant. Il porte la tiare papale et un nimbe rayonnant.

- Jésus nimbé de l'auréole crucifère porte, lui, la croix.

Aux lancettes trilobées du centre se tient la Vierge Marie (S. Virgo Maria). A côté, le prophète Elie et David jouant de la harpe ; leur identification n'est plus ici douteuse puisqu'une inscription les désigne respectivement !

A gauche de l'autel un reliquaire vide garde le souvenir d'une vénération ancienne.

Dans la grande fenêtre à quatre lancettes, les vitraux également consacrés aux thèmes mariaux, diffèrent, par leur style, des précédents.

Ils portent la signature des demoiselles De Troeyer de Reims. (voir l'historique sur le lien : DE TROEYER un atelier rémois de maîtres-verriers )

Dans les deux lancettes centrales, la scène de l'Adoration des bergers associe Marie soulevant l'Enfant Jésus et un berger tenant sa houlette dans une attitude d'adoration au milieu de ses moutons.

Puis latéralement sont :

- l'Annonciation : l'archange Gabriel désigne Marie de la main gauche et dirige l'Esprit Saint vers Elle, de la droite.

- la Visitation avec Marie et sa cousine Elisabeth.

-l'Assomption (en haut à droite) : montée au Ciel de la Vierge dans son Immaculée Conception

- la Purification (en bas à droite) : la Vierge se présente au Temple quarante jours après la naissance de son Fils et remet son offrande : un couple de tourterelles, l'offrande des pauvres. (un agneau pour les riches)

Dans la partie supérieure des étoiles, des roses, le soleil,  la lune, remplissent soufflets et mouchettes.

 

Le troisième thème marial est abordé dans les verrières consacrées au Rosaire.

Dans la fenêtre polylobée supérieure apparait la chapelle de l'Immaculée Conception de Lourdes, devenue basilique par la suite . Elle a été consacrée en 1876.

Le thème central évoque la remise du Rosaire à saint Dominique de Guzman créateur de l'Ordre des dominicains.

Saint Dominique agenouillé reçoit le chapelet des mains de la Vierge. Il est vêtu d'une robe blanche sous un manteau noir, l'habit caractéristique des frères dominicains (représentations similaires dans les églises de Vrizy et du Chesnois-Auboncourt décrites dans ce blog). La présence des angelots qui assistent à l'événement indique que la scène est post-mortem pour la Vierge reine des Cieux. L'Enfant Jésus approuve et bénit.

A genoux également, le pape Léon XIII vient de rédiger 14 encycliques sur le Rosaire afin de le promouvoir dans toute l'Eglise.

 

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Remise du Rosaire à saint Dominique

 

La partie méridionale des transepts est dédiée à saint Pierre, patron du lieu.

 

Sur l'autel, du même style que son vis à vis, s'expose une statue du saint tenant dans la dextre les deux clés. De chaque côté, juchées sur des pinacles, celles de saint Eloi et de saint Nicolas l'encadrent.

Le devant d'autel se divise en trois panneaux. Au centre, la scène évoque un pape remettant sa lettre de mission à un clerc. Toute autorité dans l'Eglise émane du pape à l'image de saint Pierre, le premier d'entre eux. Au bas l'inscription latine : MISIT NOBIS FIDEI MINISTROS pour : "Il nous a envoyé le serviteur de la Foi". 

A gauche le pape Léon XIII (1810 - 1903) pape de 1878 à 1903.

Il succède à Pie IX et reste connu pour son encyclique : Rerum Novarum de 1891 (Les Choses Nouvelles). Mgr Langénieux était son ami.

A droite se tient le pape Urbain V (1362 - 1370). Il est le pape de la guerre de Cent Ans. Béatifié sous Pie IX, il porte le titre de Bienheureux.

 

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L'autel Saint-Pierre

 

De chaque côté du tabernacle, doté d'une porte dorée portant l'image des clés symboliques et de la croix papale à trois traverses, deux panneaux illustrent des passages bibliques. A droite l'inscription porte : VISUM EST SPIRITUI SANCTO ET NOBIS pour "car il a semblé bon au Saint Esprit et à vous ..." (Actes des Apôtres 15 ; 28).

Il s'agit d'une formule introductive utilisée pour les actes conciliaires. Elle s'est appliquée lors du Concile Vatican I (1869 - 1870) lorsqu'a été entériné le dogme de l'infaillibilité pontificale, - ce qui a contribué à un centralisme papal pendant près d'un siècle ! -.

A gauche l'inscription : TU ES CHRISTUS FILIUS DEI VIVI ou "Tu es le Christ, le Fils de Dieu vivant" (Jean 11 ; 27).

Derrière, la fenêtre, divisée par un meneau, montre deux personnages identifiés par leur nom en latin : saint Paul ( Sanctus Paulus) tient l'épée de son supplice, saint Pierre (Sanctus Petrus) brandit les clés. Dans le quadrilobe supérieur apparait la basilique Saint-Pierre de Rome.

 

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Le pape prononce la formule introductive aux actes du Concile

 

La grande verrière méridionale consacre son thème iconographique à la remise des clés.

Les deux lancettes centrales sont réunies pour raconter l'épisode de l'Evangile de Matthieu en 16 ; 19 : «Et moi je te déclare : Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise... Je te donnerai les clés du Royaume des Cieux...»

Les clés deviennent depuis cet épisode l'un des attributs caractéristiques de Pierre. Jésus apparait en pasteur tenant la houlette du berger qui rassemble les brebis autour de lui comme Jésus rassemble les chrétiens. A ses pieds saint Pierre agenouillé dans une attitude de soumission tient les clés du Royaume pour que : «tout ce que tu lieras sur la terre sera lié dans les cieux et tout ce que tu délieras sur la terre sera délié dans les cieux».

 

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Remise des clés à saint Pierre

 

Au-dessus de leur tête, placés dans les soufflets du remplage apparaissent :

- au centre : un ange apportant la croix renversée qui servira au crucifiement de Pierre

- de part et d'autre : deux anges porteurs chacun de la palme du martyre.

Puis dans les quatre médaillons figurent :

- Supérieur gauche : la rencontre de Jésus et de Simon-Pierre. Jésus invite Simon-Pierre et son frère André à le suivre alors qu'ils pêchent à bord d'une barque sur le lac de Galilée. Les deux fils de Zébédée, Jacques et Jean se joignent à eux (Marc 1;16 - 18 et Matt. 4 ; 18-19) «Venez à ma suite, je vous ferai devenir pêcheurs d'hommes»

- Inférieur gauche : le reniement de Pierre (Marc 14 ; 16) «Pendant que Pierre était en bas dans la cour, survient une des servantes du grand prêtre ; elle aperçoit Pierre qui se chauffait, le dévisage et lui dit : "Toi aussi, tu étais avec Jésus de Nazareth". Il le nia. Puis il sortit... et le coq chanta».

- Supérieur droit : la Délivrance de Pierre (Actes des Apôtres 12 ; 6 - 11) «Or, la nuit même du jour où Hérode devait le faire comparaître, Pierre, lié par une double chaîne, dormait entre deux soldats, tandis que des sentinelles montaient la garde aux portes de la prison. Tout à coup survint un ange et une vive lumière éclaira le cachot. L'Ange réveilla Pierre en le frappant au côté : "Lève-toi vite" dit-il et les chaînes lui tombèrent des mains. L'Ange dit : "Mets ton manteau et suis-moi...»

-Inférieur droit : le concile de Jérusalem ou conseil des Apôtres. (Actes des apôtres 15 ; 6 à 21). La tradition rapporte que cet événement a eu lieu en l'an 50 après la mort du Christ. Les grands dignitaires se réunissent pour débattre d'une question déterminante : les païens pouvaient-ils devenir chrétiens sans devoir se convertir au judaïsme?

Cette réunion parfois sous-estimée est capitale pour le devenir du christianisme à l'époque où elle se tient. Elle est présidée par Jacques appelé le Mineur, frère de Jésus. Son rôle est majeur. En sa qualité d'évêque de Jérusalem, Jacques converti après sa vision de Jésus ressuscité, jouit d'un prestige immense dans la communauté, il est considéré comme un des personnages clés de l'Eglise primitive et c'est lui qui, à l'issue du concile prendra la décision finale d'accepter les Gentils et d'imposer l'Eglise catholique aux dépens du mouvement judéo-chrétien (9).

 

 

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 Jérusalem, an 50 : le premier Concile!

 

Pour le lecteur opiniâtre parvenu jusqu'à ces lignes, en récompense de son courage, voici la présentation de la dernière grande verrière : elle ne devrait pas décevoir en raison de la rareté de son thème.

Le maître verrier de la maison Haussaire signe et date le vitrail : Reims 1884.

La scène qui reproduit la Prédication de saint Paul à Ephèse occupe les trois lancettes de la verrière. Elle est tirée des Actes des Apôtres chapitre : 19, verset 19.

Ce passage raconte que les sept fils du grand prêtre juif Scéva tentaient de guérir des malades par des exorcismes en se réclamant posséder des pouvoirs miraculeux, se moquant ainsi du Christ. L'un des malades, possédé de l'esprit mauvais (de démence), se rua sur eux les obligeant à s'enfuir. Les habitants d'Ephèse, - juifs et non juifs -, ayant appris ce fait eurent peur et éprouvèrent du respect pour le nom du Christ. Alors : «Un grand nombre de ceux qui avaient pratiqué la magie apportèrent leurs livres et les brûlèrent devant tout le monde».

 

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La Prédication à Ephèse

 

Au-dessus de la scène principale, le vitrail de l'oculus à cinq lobes raconte la conversion de saint Paul (Actes 9 ; 3 à 7).

En sa qualité de chef de l'expédition envoyée contre les chrétiens de Damas, Paul voit sur la route la figure du Christ qui lui apparait dans le ciel : «Pourquoi me persécutes-tu?» lui demande Jésus. Paul tombe de son cheval, comme foudroyé et... se relève chrétien.

Dans les quadrilobes latéraux s'affichent les initiales entrelacées de saint Paul.

 

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Prédication de saint Paul par Eustache Le Sueur - 1649 - Musée du Louvre  - Paris. (photo web)

 

Le maître-verrier rémois a pu être inspiré par le tableau qu'Eustache Le Sueur a réalisé en 1649 pour Notre-Dame de Paris.

La confrérie des orfèvres avait l'habitude d'offrir chaque 1er mai une œuvre à la cathédrale. Le tableau, aujourd'hui conservé au musée du Louvre, a servi de modèle à de nombreux artistes.

 

La visite se poursuit par l'autel dédié au Sacré Cœur de Jésus.

La statue dominant l'autel le représente exposant son cœur meurtri dans une Gloire rayonnante. Au-dessus le vitrail des demoiselles De Troeyer reproduit le nimbe crucifère réfractant des rayons dans toutes les directions ; il porte le monogramme I.H.S.

Le devant d'autel affiche en son centre les belles lettres dorées des initiales entrelacées S C pour Sacré Cœur.

A proximité ce sont encore deux chapiteaux énigmatiques qui interpellent le visiteur : d'un côté un buste féminin découvre sa poitrine aux côtés d'un animal anguiforme monstrueux, de l'autre un personnage se tient la tête des deux mains comme s'il assistait à une scène épouvantable.

 

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Deux chapiteaux énigmatiques

 

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Posture similaire chez cet homme nu qui regarde une danseuse évoluant sur un chapiteau voisin. Il porte les mains à ses tempes dans un geste d'attitude horrifiée. La représentation fait ici écho à un passage de l'Evangile de Mattieu 5 ; 28 «Tout homme qui jette sur une femme un regard de convoitise a déjà commis l'adultère avec elle dans son cœur»....

Le message des chapiteaux placés dans le chœur ne semble pas s'adresser aux fidèles de la nef qui ne peuvent le voir mais plutôt au clergé ; il prend la forme d'une mise en garde. Eglise Saint-Marcel de Beychac-et-Caillau - Gironde (photo de la page FB de Mic Bois groupe "églises romanes")

La disposition est identique à Tagnon : les deux chapiteaux sont situés en face à face dans un bras de transept. Transmettent-ils le même message?...

 

Dans cet environnement un groupe sculpté moderne a été disposé sur une console. Trois personnages y figurent : une adulte et deux enfants.

Il s'agit de Notre-Dame de la Salette apparaissant le 19 septembre 1846 à Mélanie Calvat (15 ans) et à Maximin Giraud (11 ans).

Les enfants prétendront avoir vu "une belle dame en pleurs". La Vierge, qui a pris ce vocable pour la circonstance, est souvent représentée portant un crucifix sur la poitrine entouré d'un marteau et d'une paire de tenailles ; une lourde chaine pèse sur ses épaules, elle est entourée de roses.

 

Un autre chef d'œuvre du XIXe siècle fait l'admiration de tous : un autel en bois sculpté dédié à saint Hubert ; il raconte les scènes de la vie de l'apôtre des Ardennes, qui fut le premier évêque de Liège († 727).

Le personnage est de grande lignée, son père, Bertrand, est duc d'Aquitaine, descendant de Clotaire 1er, roi des Francs.

Hubert épouse Floribanne, la fille du roi Dagobert.

La légende de saint Hubert raconte, qu'un jour de vendredi saint, alors qu'il chasse en forêt d'Ardenne, lui apparait soudain un cerf magnifique portant une croix entre ses bois. L'animal est accompagné d'un ange qui le questionne pour connaitre ses raisons à vouloir chasser un jour de prières; la rencontre met fin à sa passion et le Nemrod part mener une existence faite de prières et de privations.

Il est bientôt convié à Rome, le pape lui demande d'occuper le siège épiscopal de Maastricht pour succéder à Lambert qui vient de mourir.

Hubert accepte la proposition mais transfère bientôt son siège à Liège, devenant ainsi le premier évêque de la ville.

Le saint est fêté dans toute l'Ardenne et bien au-delà.

Il est le patron des chasseurs ; sa représentation le montre souvent face au cerf crucifère. Il apparait également en tenue d'évêque. Le cerf est un animal qui n'a pas été choisi par hasard pour accompagner le saint. Cerf en latin est cervus ; le serviteur de Dieu est servus, d'où un jeu de mot facile.

L'animal a la réputation de chasser les serpents par son souffle, comme le Christ chasse le démon.

La légende du cerf apparaissant avec la croix du Christ entre ses bois n'est pas propre à saint Hubert. La même apparition miraculeuse se manifestera devant saint Meinulphe, elle touchera également saint Eustache qui prendra alors le nom d'Eustathe. La représentation picturale de ce dernier sur des fresques a rendu célèbres plusieurs églises de Cappadoce, où il y est vénéré depuis le VIe siècle.

 

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L'autel dédié à saint Hubert Boiseries des frères Aubry de Gespunsart

 

Les boiseries signées des frères Aubry de Gespunsart (Ardennes) montrent :

- au centre Hubert qui tombe de cheval à la vue du cerf. L'ange le questionne sur sa présence dans la forêt un jour de vendredi saint.

- à gauche, saint Lambert, évêque de Maastricht bénissant le mariage du jeune Hubert avec Floribanne, fille du comte de Louvain (une représentation similaire se voit sur un panneau des stalles - côté droit - du chœur de l'église Saint-Hubert dans la ville du même nom)

- à droite, la mort de saint Hubert entouré de son clergé et de religieux. Son successeur, Floribert se prépare à l'inhumer dans l'église Saint-Pierre de Liège.(Floribert était le fils d'Hubert, Floribanne étant décédée en le mettant au monde)

 

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Saint Hubert voit un cerf portant la croix

 

Derrière les boiseries, le vitrail des De Troeyer est consacré au saint et à sa vision du cerf portant la croix.

Egalement sortie de l'atelier Aubry, la magnifique chaire à prêcher représente les vertus théologales. La Foi (Fides) tient le calice, la Charité (Caritas) se reconnait aux enfants qui l'entourent et qu'elle a recueillis, l'Espérance (Spes) est toujours accompagnée de son attribut : l'ancre marine.

La balustrade de la galerie haute, au-dessus du portail occidental, regroupe les statues de six personnages campés sous un dais surmonté d'un pinacle ; derrière, le vitrail du quadrilobe de la grande rose s'orne de la colombe, ailes déployées, symbole du Saint-Esprit.

 

Les fenêtres hautes sont munies de vitraux représentant des saints personnages parmi lesquels figurent : saint Eloi, saint Blaise, saint Nicolas, saint Henri, sainte Catherine d'Alexandrie, saint Léon, pape...

Des statues classiques complètent la série détaillée par ailleurs, avec sainte Thérèse de Lisieux, sainte Jeanne d'Arc, l'archange saint Michel terrassant le dragon, saint Joseph...

Un triptyque est consacré à la Madone ; ses trois volets représentent 1) l'Annonciation, 2) les saints Pierre et Paul prenant en mains l'Eglise sous la protection de la Vierge à l'Enfant, 3) la Déposition de croix avec Marie et saint Pierre. L'ensemble porte la date de 1903 Don de Mme Flandrin - Charlier.

Un tableau peint à la toile fortement défraîchie évoque un épisode biblique rassemblant Pierre et Jésus.

Enfin les stations du chemin de croix sont peintes sur toile.

 

L'église Saint-Pierre méritait bien un détour, et même une longue visite, il est temps désormais de reprendre la route vers les Archives où les vieux manuscrits vont maintenant parler et peut-être révéler tous les secrets d'une autre église... fort intéressante...!

 

(1) Géographie Illustrée des Ardennes. Albert Meyrac Librairie Guénégaud réédition 1965

(2) L'Automobilisme Ardennais. Ruban d'églises. Henri Manceau N° 181 juillet-août 1968 pp.10 à 12

(3) Charte donnée aux habitants de Tagnon par Manassès de Rethel, seigneur du Chatelet. Décembre 1245. dans Trésor des Chartes du comté de Rethel. Tome 1 pages 167 à 175.

(4) Les Clochers. histoire et patrimoine de nos villages. Christophe Lefébure. Editions Ouest-France. Oct. 2009. [C. Lefébure, auteur contemporain, n'est pas poète, mais titulaire d'une maîtrise d'histoire (entre autres). Sa plume d'écrivain, son œil de photographe, subliment les clochers de nos villages dans son livre rendu irrésistible par la qualité des photos et des notes de poésie que son texte contient.]

(5) Les clochers ardennais à main levée. Roger Hourriez. Tome 1. 2010.

(6) Sur les Routes de Champagne. Maurice Hollande. Editions Michaud S. A. Reims. 1959. page 337

(7) Bulletin du Diocèse de Reims -1892 page 331.

(8) Jésus . Les derniers jours. Bill O'Reilly - Martin Dugard. Editions Cherche Midi. Octobre 2015. page 258.

(9) Jacques, frère de Jésus par Pierre-Antoine Bernheim. Editions Noêsis - 1997 et surtout l'ouvrage de Simon Claude Mimouni : Jacques le Juste. Frère de Jésus de Nazareth. Editions Bayard 2015. La revue Le Monde de la Bible propose un livre numérique intitulé : Jacques, Frère de Jésus.

Documentaire télévisé diffusé par la chaîne RMC Découvertes le 01/01/2016 à 21h35 sous le titre "Les secrets du frère de Jésus".

 

nota : ♦ l'Evangile de Jacques est un apocryphe ; il révèle l'importance que Jacques a eu dans la vie du Christ. La découverte en 1945 des manuscrits coptes à Nag Hammadi (Haute Egypte) a changé la vision portée sur le rôle de l'apôtre.

♦ L'Histoire du Chatelet-sur-Retourne écrite par l'abbé Th. Portagnier fournit des informations précieuses sur Tagnon. Elles figurent dans le numéro 1 - 4 ; Années 1872 - 73 - 54ème Volume des Travaux de l'Académie Nationale de Reims.(document en ligne sur Gallica bnf)

♦ L'article ci-dessus prolongeait la visite organisée par l'Office de Tourisme du Pays Rethélois qui a eu lieu le dimanche 19 juillet 2015 dans le cadre des "Circuits découverte des églises", sur le thème : le décor des chapiteaux. Voir l'article paru dans le journal L'Ardennais du 11 juillet 2015 avec le titre : "Les églises se dévoilent cet été" sous la signature de la journaliste Déborah Berthier.

JLC

 

 



25/03/2021
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